Attention, liens remplis de spoilers (ça tombe bien pour ceux qui comme moi n'ont pas encore vu le film), mais qui me paraissent bien déblayer le paquet de contradictions de l'homme et du cinéaste.
Bon... Eh bien, depuis je l'ai vu... et comment dire... pas trop enthousiaste en fait. J'essaierai d'y revenir...
Sinon, pour en revenir aux articles, celui de Sylvie Laurent est effectivement très riche, mais je ne suis pas sûr qu'il parle réellement du film, plutôt de son background, son arrière-plan socio-historique que l'on peut sans doute retrouver dans d'autres exemples. Il me semble que l'on pourrait écrire des analyses comparables et tout aussi intéressantes sur chacun des Rocky ou 8 Miles, pas sûr que ça rendrait les films plus riches. Quant à la charge de JB Morain, eh, eh, je ne peux pas dire que je sois en total désaccord non plus (notament sur le regard porté sur la génération des fils).
24 commentaires:
J'allais dire que le problème n'est même pas là. La question c'est, "Eastwood est-il oui ou non un bon cinéaste"? Au vue de ses dernières oeuvres cousues de fil blanc et qui ne jouent que sur la manipulation du spectateur, j'aurais tendance à répondre "non"...
Bon moi aussi...
Ca me paraît périlleux d'être aussi catégorique... Eastwood est un cinéaste inégal qui alterne grosses caisses lourdingues (la partie au présent de la route de Madison) et des moments beaucoup plus surprenants. En général, j'aime assez la façon dont il parle du collectif et de l'héroïsme (Million dollar baby et Lettres d'Iwo Jima), ou plutôt de l'héroïsme remodelé par la légende (Impitoyable). Sur le papier, son dernier opus m'avait plutôt l'air dans cette veine thématique (même si je sais bien qu'on ne fait pas de cinéma avec uniquement des thèmes et des points de vues)... avec de plus, une modestie de moyens qui me paraît plutôt de bonne augure.
Bon, faut que je trouve le temps d'y aller pour voir (entre autres) si le film s'inscrit vraiment dans une lecture de l'Histoire immédiate des Etats-Unis, et on en reparle.
Plus que républicain (Eastwood sait éviter la propagande dans ses films - de justesse, mais il l'évite), il me semble qu'il s'agit surtout de conservatisme. Un conservatisme personnel : ne jamais ébrécher sa 'légende'.
Pas faux... Encore une fois, sans avoir vu Gran Torino, j'ai l'impression que la critique se comporte face à Clint comme l'assemblée apeurée du saloon dans Unforgiven. Déjà tétanisée par sa propre aura, sa légende qui le précède. De la même façon que, dans Unforgiven, il n'a même plus besoin de dégainer pour faire régner l'ordre, j'ai l'impression qu'il n'a parfois plus besoin de "faire ses preuves" (ou que le discours précède l'essence du film) pour qu'on s'incline devant chacun de ses nouveaux opus. Pour ma part, je trouve que sa filmo, même récente, aligne quand même des hauts (lettres d'Iwo Jima) et des très bas, des films incroyablement paresseux (La route de Madison ou Minuit dans le jardin du bien et du mal)... Pas si classique que ça comme cinéaste, somme toute.
Merci pour le lien vers l'article passionnant de Sylvie Laurent, sans doute intéressant à lire justement avant de voir le film.
Tu as raison d'être plus nuancé que moi. Ce "non" ne correspond d'ailleurs pas au fond de ma pensée puisque je j'aime beaucoup certains Eastwood. Mais effectivement, cela doit être par réaction aux concerts de louanges qui accueillent systématiquement les nouveaux opus du maître alors que la critique n'hésite pas à faire la fine bouche devant des cinéastes que j'estime beaucoup plus importants (Woody Allen, Chabrol...)
L'article de Sylvie Laurent est effectivement un joli morceau. Pour répondre au premier commentaire du docteur, je dirais qu'Eastwood est un cinéaste important de par sa simple présence, qu'il soit bon se discute. Je trouve dommage que la vénération (à laquelle je ne souscris pas) de la légende occulte le travail critique sur le cinéaste. En la matière, la comparaison de Joachim me semble bien trouvée.
C'est marrant que Doc cite Allen et Chabrol qui se sont quand même attiré le même type de critiques (radotage, pas de mise en scène, ils n'aiment pas les jeunes, cinéma dépassé, j'en passe et des meilleures). Alors que finalement, ils ont tous les trois aujourd'hui de bien belles carrières. Que l'on préfère l'un ou l'autre, c'est un choix, moi je prends tout.
La remarque du Doc est intéressante et semble définir un style particulier à ces trois cinéastes Un style qui est une sorte de narcissisme du cinéaste une volonté d'unité dans le ton et une certaine jouissance à cette unité... moralité ils touchent des afficionados qui se retrouvent dans cette analyse et s'administrent les différents films comme une boite sans fond de pilules rose pour chasser les idées noires...et se retrouver en tant que totalement convertis...
ouh, ça m'attriste, après button, cet enchainement de désaccords! minuit... est à mes yeux un des plus étonnants, et iwo jima la seule relative déception d'une très grande décennie (plus sans doute créance de sang _pas vu), le seul qui se prête (un peu) aux reproches habituels, classicisme funèbre, etc... parce que quand même (les lecteurs de mc me pardonneront de me répéter ainsi), en terme de récit, million dollar baby ou mémoires de nos pères sont étonnants, d'abord bancals, mal fichus avant de trouver leur rythme, et cette même manière de s'achever en films de chambre, de ne plus s'intéresser qu'à des fins de vie dans des lits d'hôpitaux... à comparer aux infiltrés, par exemple, qui pour le coup est vraiment une autoroute. et ce sens du grotesque, de l'outrance, tout en petites touches burlesques ou fantastiques... eastwood aujourd'hui est un cinéaste sous-estimé (vraiment).
(sans être mon préféré, gran torino a quand même des qualités immenses, et des passages extraordinaires. j'y reviens éventuellement si tu développes!)
Sous-estimé ? Vraiment ? Quand on aligne les critiques élogieuses, les salles pleines, les spectateurs conquis et les Oscars, que demander de plus comme cinéaste ? La Palme d'or ? Bon d'accord, mais ça ne sert à rien de courir après... S'il y a un bien un cinéaste dont je ne pleurerais pas sur le sort, c'est bien lui. Quoi qu'il en soit, je suis toujours d'accord pour défendre Unforgiven, Un monde parfait, Lettres d'Iwo Jima, Mystic River et Million Dollar Baby pour leur art du récit. A cette (déjà) belle liste, je rajouterais un film effectivement négligé : Jugé coupable (True Crime) de 1999, avec de très belles ruptures de ton et un duo "d'acteurs vieilles canailles" (Clint et James Woods) dont les réparties me paraissent voler plus haut que les vannes entre Kowalski et son coiffeur dans Gran Torino.
Ensuite, je me suis copieusement ennuyé devant "Minuit..." et "...Madison". Je n'y peux rien, mais pour moi, ils ont le même défaut que "Gran Torino" : ne pas être très subtil dès qu'il s'agit de filmer l'ambiguïté. Ce n'est pas parce qu'on incarne un héros ambigu qu'on sait la filmer, somme toute.
Bon encore, quelques jours de patience pour trouver le temps et les mots de développer mes impressions.
Il me semble qu'à l'heure du bilan, il,serait injuste de s'arrêter aux films des années 90. Eastwood est cinéaste depuis 1971 et, dès le début, il a alterné chefs d'oeuvres sensibles et gros pâtés. Parmi les premiers, "Breezy", "Josey Wales" (qui annonce "Unforgiven"),
"Honkytonk Man" et "Bird" méritent qu'on s'y arrête... pour ce qui est du dernier, je ne l'ai pas encore vu, mais je suis d'accord pour dire que ces dernières années il ne fait pas dans la dentelle.
josey wales ou honkytonk man comptent parmi ses meilleurs, oui, breezy ou bronco billy sont magnifiques aussi. quand je dis sous-estimé, je pense par exemple aux tops 10 des grandes revues, bon révélateur. dans les années 90, les cahiers étaient hyper-fans, plaçaient invariablement au sommet des films beaux aussi, mais plus évidents : impitoyable, madison... eastwood fait mieux aujourd'hui et pourtant on sent une petite réticence, il est de bon ton d'observer une légère condescendance, comme devant un vieux maître. c'est dommage...
de la dentelle non mais bourrin encore moins! et encore une fois, bien plus impur, riche, tout en bifurcations et ruptures de ton, que les derniers scorsese ou même cronenberg (entre autres). (le barbier italien, j'aurais préféré sans, c'est certain...)
La critique de Morain est quand même très marrante par ce qu'elle sous-entend : un cinéaste réac et de droite, c'est pas bien (aussi bon soit-il), un cinéaste de gauche et progressiste, c'est sans enjeu (aussi nul soit-il, et il y en a un paquet). Bon, je suis peut-être pas très bien placé pour faire la critique de la critique, ayant moi-même une bien plus grande tendresse pour Mickey Rourke que pour Sean Penn.
La critique de Morain est sans doute excessive (pas totalement hors de propos cependant), mais il y a bien un point qu'elle minore: en matière de "bon américain", Clint est battu à plate couture par la paire Sean Penn - George Clooney (avec un léger avantage pour le second, à mon avis).
En tant que film parfaitement idéologue,Gran Torino me semble schématique et assez bien foutu... Evidemment c'est un genre en soi. Mais la critique de Morain me semble assez bête en effet (même si je pense effectivement que beaucoup ne voient en Eastwood que ce qu'ils veulent voir, que ce soit dans un sens ou dans un autre, d'où le titre même de ton post Joachim), tandis que je continue de penser que l'autre texte déroule au contraire avec précision toutes choses qui se trouvent effectivement dans le film. Simplement, c'est une analyse de contenu. Mais comme à moi les films d'Eastwood m'ont toujours semblé bâtis sur les implications très précises de leurs scénarios, je n'en demande pas beaucoup plus.
Je crois que mes réserves sur le film tiennent précisément au fait qu'il ne fait qu'expliquer son contenu, son contexte, son implantation, à la faveur d'un scénario que je qualifierais presque de "pédagogique" (une séquence pour nous expliquer les Hmongs, une séquence pour nous expliquer le traumatisme de la Corée, une séquence pour nous expliquer la décadence des usines Ford, etc...) tout cela en nous soulignant bien que le récit marche sur des oeufs, mais qu'il a si bien pesé le pour et le contre que ça passera... Je peux comprendre le cheminement du héros, et partant celui du film, mais pour moi, ça empêche totalement l'émotion de naître, tellement je vois davantage les balises que le chemin.
Dans "Million dollar baby" pourtant proche dans ses thématiques, c'était plus fluide, plus ample, aussi lié sans doute au fait que les motivations sportives avaient moins besoin d'être explicitées.
Un des interets de "Gran torino" est son coté renfermé, quasi minimaliste, on ne sort presque pas du pas de porte des maisons, les extérieurs sont en général quasi vides, un peu comme "la route de Madison", pas un seul élément de modernité. Comme si il economisait ses effets comme il peut economiser sa santé. En exagérant un peu , ca me fait penser à "L'argent" de Bresson.... et ca sent le sapin. Quant au coté prolo des héros, faire un lien avec les siderurgistes (lithuaniens, ukrainiens?) de "Voyage au bout de l'enfer".
Mais comme dans un "Monde parfait" , son aptitude à l'autodérision parait jouissive de sa part. Alors, aprés, oui, il y a les bons jaunes, pro américains, les bons américains (polonais), mais la pseudo morale réac est reduite à néant par les circonstances, par l'échec du héros auprés de sa famille et de sa vie, et par la fin qui n'est pas un rachat comme les bonnes ames bien pensantes pourraient le dire mais un point final. Ce film pourrait idealement conclure la filmo de C.E.
Pour ma part, je trouvais que quand Clint passait la porte au fond d'un sombre couloir d'hôpital dans "Million Dollar Baby", ça faisait une éclipse parfaite, élégante et mélancolique pour une ultime apparition à l'écran. Par bien des aspects, "Gran Torino" et "Million..." se ressemblent (thématiques de la filiation, films en intérieurs), mais ce dernier me paraît nettement moins subtil notamment, au risque de me répéter, dans le fait de présenter le fils comme un repoussoir et de ne jamais lui donner sa chance comme personnage. Dans "Million..." il y avait aussi une brouille entre l'entraîneur de boxe et sa fille, mais au moins avait-il l'élégance (ou la prudence) de la laisser hors champ et de ne pas la caricaturer, ce qui laissait vraiment percevoir la douleur de cette non-relation. Or là, quand Clint confesse vers la fin du film "qu'il n'a jamais su parler à son fils", ça tombe complètement à plat puisque de ce qu'on a vu du fils (et des petits enfants), on n'a pas tellement envie de nouer contact avec eux. Cet échec-là ne me touche pas et me paraît symptomatique d'un film trop sec et mécanique pour réellement émouvoir.
c'est peut eter parce qu'iil est sec qu'il permet qu'on y soit ému. Mais cela est personnel!
Fort possible. Chacun son Clint ;-)
Cher Joachim,
Malgré toute ma sympathie pour votre blog et mon intérêt plus que relatif pour le réalisateur, je me vois presque contraint de réagir à votre dernière réponse ci-dessus (le 10 mars, à 15h 40), avec l'impression un peu désagréable de passer pour un prosélyte que je ne suis pas.
Veuillez, s'il le faut, excuser le ton légèrement ironique de ce premier comm ici.
Ainsi, vous écrivez :
"Par bien des aspects, "Gran Torino" et "Million..." se ressemblent [...], mais ce dernier"
- MDB ? ou ce "dernier" en date ?
"me paraît nettement moins subtil"
- Pas du tout d'accord.
"notamment, au risque de me répéter, dans le fait de présenter le fils comme un repoussoir et de ne jamais lui donner sa chance comme personnage."
- Point de vue intéressant, mais on pourrait tout aussi bien dire qu'Eastwood ne cherche pas à (dans le sens, "ne veut pas") "donner une chance" au personnage, mais montrer un personnage qui est - ou s'est - déjà condamné dans leur histoire familiale (ou "dans la diégèse", pour faire pédant) ; et qu'à partir de là, il est demandé au spectateur de regarder (et pour vous : "subir", donc) leurs relations, de les accepter comme elles sont, ou encore (plus doctement) "d'observer comment s'articule la dramaturgie du film".
"[...] Or là, quand Clint confesse vers la fin du film "qu'il n'a jamais su parler à son fils", ça tombe complètement à plat"
- Oui, si on focalise sur ce moment précis. Mais non, quand on devine peu après qu'il [Walt] se contrefout de ce genre de confession-là. "Rewindons" : quelques scènes auparavant, il revient d'une consultation chez un médécin asiatique. L'"effet" tombe-t-il autant "à plat" au moment où il a son fils au bout du fil, et qu'il n'ose pas lui demander un 'simple' service (remplir les formulaires médicaux) ?
"[...] Cet échec-là ne me touche pas et me paraît symptomatique d'un film trop sec et mécanique pour réellement émouvoir."
- C'est que le réalisateur a peut-être essayé (malgré les gros traits, reconnaissons-le) à émouvoir ailleurs ; disons, dans une certaine... maladresse - qui, on l'a compris, vous a laissé (au moins) de marbre ; lors de cette première vision, qui espérons-le ne sera pas la dernière...
Bien cordialement.
Merci de votre point de vue que j'ai quelque peu développé sur mon dernier post (en comparaison avec Oliveira). Pour ma part, j'ai vraiment de plus en plus de mal quand un film nous montre des personnages (même secondaires) constamment antipathiques et caricaturaux. Sur un autre registre, je n'adhère pas du tout à "Burn after reading" des Coen pour les mêmes raisons. Je ne crois pas que regarder ainsi des personnages d'aussi haut (ou alors il faut vraiment rester dans le registre de la caricature géniale, cf la série "The office"). Mais Gran Torino vise la grande émotion, à l'échelle des choix et des regrets d'une vie entière. C'est pour cela que je trouve ce partage des personnages bien réducteurs.
Par ailleurs, comme déjà dit, j'aime assez les précédents titres d'Eastwood. J'ai donc du mal à croire que je suis passé à côté de l'un des grands titres de sa filmographie, et plus largement d'un grand film tout court.
En fait, Gran Torino me fait beaucoup penser à deux titres que je trouve largement supérieurs: le nettement plus flamboyant "L'année du dragon" pour l'interrogation sur le melting-pot et les pulsions racistes, et le nettement plus retors "History of violence" pour la revisitation des mythes fondateurs de l'Amérique condensés dans un drame domestique. Mais là où le film d'Eastwood ne fait que désigner le bon et le mauvais chemin, la bonne et la mauvaise conduite, le film de Cronenberg explore un entre-deux nettement plus ambigu et excitant, entre-deux hybride où s'hybrident la mythologie américaine du territoire conquis par la violence et la fantasmatique du devenir-héros vengeur de Monsieur Tout le Monde.
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