mardi 10 février 2009

Reflecting

Ontologique comme les Fioretti... (Roberto Rossellini 1950), trivial comme Ucellacci... (Pier Paolo Pasolini 1966), trippé comme les premiers Garrel, atmosphérique comme du Michael Snow, becketto-minimal comme du Kaurismaki, et pour la galerie, ordurier limite terroriste comme Fassbinder, Albert Serra sait non seulement choisir ses références, mais surtout, grâce à elles, raviver un cinéma d'aventure radicale et primitive.

Mais au fond, la proximité la plus nette de son cinéma ne serait-elle pas avec Bill Viola, un autre artiste fortement imprégné de religieux, et travaillant comme lui sur le temps (réel) de l'extinction, les phénomènes de réapparition après la disparition, comme une dernière lueur de persistance des corps et des mythes malgré leur épuisement tant physique que symbolique...

 The reflecting pool (Bill Viola 1979) :




The reflecting hill :

... ou plutôt un extrait d'extrait (car la séquence originelle est nettement plus longue et fascinante) du Chant des Oiseaux (Albert Serra 2009)

Si j’avais eu les images, j’aurais pu aussi essayer le parallèle entre la très belle baignade des rois mages vue en contre-plongée sous-marine et ce contre-plongeon...

Lire aussi ici ou ...

11 commentaires:

Griffe a dit…

J'ai commencé à te répondre sur l'autre fil. Je vais voir le Serra ce soir, on en reparlera.

Joachim a dit…

Oui, oui, j'ai vu la réponse...mais comme souvent avec toi, c'est stimulant mais vraiment pas facile de te répondre rapidement... Les arguments et contre-arguments se bousculent dans ma tête...

Griffe a dit…

Prends ton temps, moi je peaufine ma critique du "Chant des oiseaux".

Griffe a dit…

Je ne comprends pas bien pour quelle raison tu évoquais « Le Chant des oiseaux » au sujet de l’innocence. Voilà bien un film qui me paraît complètement tétanisé par le désir de son auteur d’en être un, justement. Désir d’ailleurs inconscient : sans doute Serra a-t-il le sentiment sincère d’avoir réalisé un film contemplatif, envoûtant, dont la force naîtrait de la matière même qu’il filme, des fausses teintes, des longs plans d’ensemble sur la nature battue par le vent… Or, plusieurs gros indices prouvent que son film est, profondément, celui d’un « non-dupe » incapable de simplicité comme de modestie : le choix d’abord, justifié par le « mythe », d’abandonner la couleur au profit du noir et blanc, alors qu’il y avait déjà, comprise dans le projet (langue espagnole, bizarrerie du choix de concentrer « l’action » sur la longue marche des Rois mages) toute la distance suffisante vis-à-vis du mythe pour se passer d’en rajouter une couche ; les tentatives (à mon sens ratées, mais qui font ricaner la salle) d’humour (les hésitations pénibles des rois à gravir la colline, leur difficulté à se relever une fois couchés, leur « duel » de rêves, etc.) ; ces silences abondants enfin, fatigants à la longue, que j’analyse comme un supplément d’âme facile, à défaut d’un talent pour faire naître autrement, par exemple par les rapports entre les personnages, le moindre sentiment du sacré… Bref, on est, je trouve, à fond dans le calcul, et je trouve Serra moins innocent que, je reprends le mot, inconscient, inconscient du fait que ses effets et ses manières plombent son film et l’empêchaient nécessairement de décoller. Tu cites Gus van Sant. C’est la même école, effectivement.

Anonyme a dit…

Je suis tout à fait d'accord avec ce dernier message. Quant à Bill Viola, je garde un souvenir affreux de son illustration de "Tristan et Isolde".

Joachim a dit…

Mouaif.... le calcul de Serra, l'emphase de Viola (au passage, cher anonyme, ce serait pas mal de signer), je l'ai déjà entendu ça... et je peux continuer à l'entendre. Bon, je n'ai pas envie de rentrer dans un combat de coqs ou un débat sophistique (en quoi faudrait-il s'interdire le noir et blanc dès lors qu'on a déjà suffisamment "de distance vis-à-vis du mythe"... A partir de combien d'éléments constitutifs du projet a-t-on suffisamment de distance ? étrange, vraiment étrange, cette façon de se mettre dans la tête du cinéaste pour valider ou censurer chacun de ses choix).

Je crois surtout qu'on ne devrait jamais avoir à s'excuser d'aimer un film, et ne pas s'excuser non plus, de voir dans le cinéma actuel, moins d'imposteurs que vous n'en débusquez, cher Griffe...

Et dans le cas présent, malgré certains traits évidents de "l'antonionisme pour festival", il y a pour moi quelque chose de plus fort que ça, la (re)naissance d'un regard primitif dans cette sorte de succession de vues Lumière mal taillées. Et tant pis si je ne suis pas le premier à le dire, si ce discours paraît convenu voire collé au film, serait celui que son auteur voudrait entendre. Encore heureux qu'un cinéaste soit encore à peu près conscient de ce que ces images produisent chez le spectateur...

Au vrai, le terme d'innocence n'est peut-être pas très bien choisi. Dans le cas présent, c'est aussi l'aspect mal dégrossi du film qui me procure cette impression. Mais à l'autre bout du spectre, Will Ferrell vient lui-aussi de la télé la plus commerciale qui soit, ses films sont basés sur des études de marché et surfent sur d'épaisses ficelles marketing... Alors, voir de l'innocence là-dedans... C'est selon. Disons que sa façon de rire de tout peut aussi transcender ces données de départ... mais n'est-ce pas là aussi du calcul ?... Comme quoi, on n'en finit pas. Plutôt donc faire confiance à sa première impression et dérouler le fil de ce qu'elle éveille chez vous...

Griffe a dit…

"Je crois surtout qu'on ne devrait jamais avoir à s'excuser d'aimer un film"

C'est certain, d'ailleurs la question ne devrait même pas se poser.

"et ne pas s'excuser non plus, de voir dans le cinéma actuel, moins d'imposteurs que vous n'en débusquez, cher Griffe..."

Je n'ai jamais prétendu que Serra était un "imposteur" parce que je ne l'ai pas vu et entendu parler, à la différence de Desplechin, Cronenberg et autres, donc je ne peux pas m'aventurer à affirmer un truc pareil. J'ai parlé d'"inconscience", par contre, et il y a des calculs inconscients, il y a des refoulements qui donnent lieu à des stratégies.

Comme je te le disais sur l'autre fil, le jeu et l'humour de Will Ferrell n'ont rien selon moi d'innocent. Je ne "vois" pas et n'ai jamais vu de "l'innocence" là-dedans. Ce thème de l'innocence, c'est toi qui l'as abordé, et j'ai voulu t'exprimer justement, en y revenant, qu'il est peut-être nécessaire pour réfléchir à certains films ou à un certain plaisir provoqué par certains films, mais pas suffisant pour expliquer quoi que ce soit.

Moi non pous, "je n'ai pas envie de rentrer dans un combat de coqs ou un débat sophistique", oh la la, mais juste affirmer nettement mon sentiment, t'entendre affirmer nettement le tien, pour arriver à approcher d'un peu plus près l'objet de notre conversation.

Anonyme a dit…

Pardon de ne pas avoir signé (solution du moindre effort); sinon, pour ajouter un peu à cette discussion, tout me paraît minimal dans le film de Serra : mise en scène, narration, dialogues, et en fin de compte, l'intérêt. Je me demande ce qu'il a voulu faire; résoudre une sorte d'impossible équation où la paresse de l'ensemble (fort sympathique d'accord) vaudrait pour une sorte de primitivisme religieux face au contenu fictionnel préexistant, ou bien faire un film d'arts et d'essai totalement décérébré (dans le bon sens du terme, c'est-à-dire volontairement déjà) ce qui est encore plus difficile. Dans cette perspective, je tiens les réalisateurs qui montrent leurs personnages gravir des montagnes, et non les descendre, pour malhonnêtes.
A vous,

Ezra Welser

Joachim a dit…

Chers Griffe et Ezra

Merci de vos précisions. Précisément, c'est l'indécision de Serra qui me séduit (je continue à penser qu'il ne calcule pas tant que ça), mais je reconnais que c'est là une perception bien fragile et subjective, sans doute difficile à mettre en avant... En fait, mes impressions sont assez variées devant le film (jusqu'à parfois la limite de l'exaspération), mais c'est ce mouvement de balancier qui finalement me séduit (vraiment assez d'accord avec le texte de Balloonatic mis en lien).
En fait, je ne cessais de me demander si c'était "de la durée juste ou juste de la durée"...et ça me plaisait de penser ça, ou peut-être étais-je juste satisfait de godardiser à bon compte. Quelle vanité !

Sinon, Ezra, les cinéastes qui montrent leurs personnages descendre les montagnes, c'est Herzog (le début d'Aguirre ?). En quoi, la descente vaut mieux que la montée ?

Anonyme a dit…

C'est de la critique primaire, à visée morale., qui concerne, disons, la morale d'un récit. Je pense surtout à une séquence vers la fin où l'on voit les rois mages partir et grimper une montage. Pendant tout le film, sauf pendant cette scène de baignade mise en exergue à juste titre par les critiques, il y a une sorte de complaisance à filmer des corps souffrants, vieillis, ou obèses, qui ménage assez peu respirations, à dessein semble-t-il, puisque l'obstacle physique représenté par une montage s'accompagne forcément d'une descente, et alors d'un certain sentiment qui consiste à se laisser aller, sans tergiversations.

Joachim a dit…

Tiens c'est marrant. Je pense exactement le contraire... Je ne sens aucun malaise à voir dans ce film des corps trop vieux, trop massifs, trop fatigués, des corps "qu'on n'a pas l'habitude de voir au cinéma" (on n'est quand même pas chez Bruno Dumont)... mais au contraire beaucoup de noblesse, d'apaisement... dans cette façon de se caler sur le temps de leur respiration. Serra filme l'épuisement, c'est un fait et je trouve qu'il a au moins l'honnêteté de respecter le rythme de cette extinction-là, de ne pas faire que son film aille plus vite que la fatigue... Bon après, c'est sûr, encore une fois, ça dépend tellement de la perception de chacun...