mardi 7 octobre 2008

Auteur academy

Pour surmonter une crise d'inspiration, un cinéaste se réfugie au « Royaume », une secte, une communauté, un phalanstère (ou un espace métaphorique de la drogue, l’extase, l’expérience mystique, que sais-je encore). Au bout de l’expérience de régénération, il faudra tuer le gourou du « Royaume »  pour parvenir à la libération suprême et revenir en combattant dans le monde réel.

Résumé officiel, programme tant esthétique que psychanalytique de De la guerre, le dernier film de Bertrand Bonello, pas son meilleur, mais ce que l’on aurait coutume d’appeler un « échec intéressant », échec presque inscrit à l’avance dans les prémisses dépressifs du film, mais intéressant car volontairement inégal et parfois inspiré.

Et pourtant, une autre interprétation du film vient tout gâcher.  

Et si "Le Royaume", c'était le cinéma français ? Le cinéma français avec son lot de "pères à tuer" (incarné ici par Michel -la plus belle filmo du cinéma français-  Piccoli customisé en Kurtz-Brando hexagonal). Le cinéma français et sa proverbiale phobie du risque telle qu’il faut mener « en guerrier » les projets qui sortent des sentiers battus. Soit. Mais ensuite ? Incidemment, poser un tel état de fait, c’est demander : « A quoi ça sert de faire des films, quelle est leur nécessité absolue ? ». Or, la nécessité semble plutôt se situer du côté du nombril de Bonello. Comme pour Honoré, les arrière-pensées de politique politicienne viennent polluer la perception du film. Et comme chez lui, difficile de ne pas voir le film comme instrument pour conquérir (et surtout asseoir) une place au compagnonnage des auteurs. Tout autant que La belle personne, De la guerre ne transpire, au fond, que d’un seul sentiment tellement envahissant qu’il vient occulter tout le reste : vouloir devenir calife à la place du calife.

Mais tout cela ne serait pas si gênant si Bonello persévérait dans l’intense concision des meilleurs moments du Pornographe (2001) ou du court Cindy, the doll is mine (2005) et asseyait sa « place » sur l’assurance de son propre style. Or, sur quoi Bonello affirme-t-il désormais la soi-disant libération de son propre cinéma ? Rien de moins que sur un« refilmage » bien plat de séquences entières d’Apocalypse now (Francis Ford Coppola 1979), Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul 2004) ou Last days (Gus van Sant 2005).  C’est donc ça un assaut contre le conformisme cinématographique ambiant, la (con)quête d’une neuve inspiration, une expérience de combattant de la beauté ? A ce petit jeu du "scene dropping", au vu de ces remakes cheap (la référence à Tropical malady, le face-à-face avec un fauve invisible étant assurément la plus casse-gueule : il ne suffit pas de coller des rugissements sur la bande son, encore faut-il faire exister le hors-champ), on a plutôt l’impression d’un cinéma délavé et appliqué, d’un cinéma karaoké.

Sale impression renforcée par un autre voisinage visuel. Où voit-on des jeunes gens enfermés dans une grande maison pour passer leur temps à apprendre à copier… et qui, quand ils ne jouissent pas (en braillant) se reposent (affalés sur le canapé du salon) ? Mais bien sûr, c'est là et nulle part ailleurs, bien sûr...

Au cinéma ou à la télé, on chante et on danse en s'agenouillant devant le gourou.

D’où « film sur mon nombril » + « cinéma karaoké » = auteur academy…

D’où parmi la multitude de titres qu’aurait pu porter ce film tant chaque séquence veut faire un sort à chaque nouveau sujet abordé (« de la création », « de l’utopie », « du couple », « de la folie », « de l’abandon », « du corps et de l’esprit », « de l’héritage », « de la normalité », « de la difficulté à remplir une feuille de sécu quand on est un auteur »), le seul finalement approprié : « de la vanité » (d’un cinéaste).

Sinon, je n’en ai pas un souvenir très net, mais il me semble que Prenez garde à la sainte putain (Rainer Werner Fassbinder 1970) jouait carrément sur un amalgame autrement plus saisissant entre équipe de tournage et secte.... La bande-annonce pour se rafraichir la mémoire...

8 commentaires:

Anonyme a dit…

ah ah ah t'es toujours aussi fort !

Anonyme a dit…

J'avais beaucoup aimé "le pornographe", moins "Tiresia" mais je crois que cette fois, je vais m'abstenir, tant ce que tu dis du film correspond exactement à ce que j'imagine et crains.
C'est sans doute ça qui me désespère le plus dans le cinéma français : sa prévisibilité...

Joachim a dit…

Et en matière d'académisme et de prévisible, ça tombe bien, le Garrel vient de sortir. Cela dit, je serais curieux, cher Doc et autres, de savoir ce que vous en penserez si vous y allez. Je me suis peut-être trompé sur le film, mais en y repensant, je ne vois pas vraiment ce qui pourrait me faire changer d'avis.

Pour en revenir au Bonello, je le rattacherais aussi à Demonlover d'Assayas dans son refus forcené de ne pas faire "cinéma français" et de ne pas vouloir marcher sur les trace de ses films précédents, mais sans guère plus de résultat. Je repensais à la question des citations et je me disais que dans ses précédents, il citait aussi beaucoup Bresson mais que curieusement, ça marchait beaucoup mieux peut-être parce qu'il en faisait vraiment quelque chose, une sorte de "puritanisme pop" pour aller vite. Moi aussi, j'avais été assez ému par "le pornographe" et intéressé par la première moitié de "Tiresia" (moins par le délire mystique ensuite). Gageons que Bonello va encore nous proposer de belles choses.

Anonyme a dit…

Hors-sujet (quoi que),
The fountain d'Aronofsky, chef d'oeuvre de polichinelle ou Le trip métaphysique à ne pas louper ?

Joachim a dit…

D'Aronofsky, je n'ai vu que Pi dont j'aime surtout la relative modestie de moyens qui donne une certaine tenue à ses trips "je t'explique le monde en équations"... bien que chacun des plans (comme dans certains PTA ou Spike Jonze) hurle au spectateur : "regardez quel génie je suis".
Pas vu les films suivants mais j'ai bien eu peur qu'il se soit perdu à cause de ses moyens trop confortables et du trop plein de sérieux de ses projets.
Bien peur que "Requiem for a dream" paraisse déjà daté et je n'ai entendu que des horreurs sur "The fountain".
Cela dit, j'ai très envie de voir son Lion d'or (The wrestler) qui m'a l'air d'être sa rédemption de cinéaste en même temps que la rédemption de Mickey Rourke.
Tiens, je vois que sa fiche Imdb annonce un remake de Robocop pour 2010. Ouh là, là.... J'aime beaucoup le film de Verhoeven (que j'avais vu à 15 ans quasiment en cachette sans me douter qu'une dizaine d'années plus tard, il allait être du suprême bon goût cinéphilique) et ça va être difficile de se hisser à son niveau. Encore plus violent ? Encore plus techno ? Encore plus parano ?

Sinon, cher anonyme, êtes-vous toujours le même qui revenez (ne pas) signer vos messages ?

Anonyme a dit…

Il est fort possible que ce soit moi, j'ai laissé un message il y a une dizaine de jours.
En faite j'ai adoré The foutain, j'aurais voulu avoir votre avis.. Je trouve l'histoire d'amour touchante, elle est pourtant bateau, le travail sur les couleurs fabuleux.
Il faut croire que j'ai un réel faible pour les films/réalisateurs fleurtant avec le mauvais gout (Jeunet, Beineix..)

sadoldpunk a dit…

Article bien senti, avec un point de vue intéressant sur le travail de Bonello. J'ai aimé "De la guerre" mais je suis assez d'accord sur la faiblesse de la dernière partie, dans la forêt. Nul doute qu'il se remettra de sa crise et nous pondra d'autres grands films ("Le Pornographe" était justement un film qui n'était pas prévisible et n'avait pas peur de "faire cinéma français")...
Quant à "The Fountain", c'est un beau ratage. Aronofsky se laisse prendre au piège de ses propres images, lissées jusqu'à l'ecoeurement...
Salutations!

Joachim a dit…

Maintenant que je viens de voir "Tropic Thunder" de Ben Stiller, je sais où se cache la vraie variation sur "Apocalypse Now". Et l'air de rien, la comédie de Stiller est aussi un film réflexif sur un cinéaste qui s'interroge (Comment un entertainer démonte les rouages de son industrie) comme sur le nécessaire nombrilisme des acteurs. Ce n'est plus "six personnages en quête d'auteur" mais "cinq acteurs -tous très bons- en quête de fiction" et qui, pour cela, doivent traverser la jungle. Hollywood meets Pirandello, ça a une autre dimension que la crise de Bonello (dont j'attends tout de même le rebond).