Esquisse d'Erich Kettelhut pour le décor de Metropolis (Fritz Lang 1927)
L'immeuble de la Tyrell Corporation dans Blade Runner (Ridley Scott 1982)
Figure ô combien connotée sur le plan de la symbolique, le triangle est finalement peu fréquent en architecture. Et pour ne rien arranger, sa traduction tridimensionnelle, la pyramide ne paraî, de Khéops au Louvre, ne porter qu'une seule valeur : la mégalomanie du souverain. Après cela, qui oserait encore manipuler de telles figures géométriques ?
Et pourtant, le dernier projet d'Herzog et de Meuron, la première "tour" parisienne construite depuis plus de 30 ans (211 mètres soit un de plus que la tour Montparnasse) ose nous balancer en pleine face un pur équilatéral, qui, aucun doute, se trouvera moults surnoms. Proposons déjà : "Toblerone galak" et "Dark side of the moon". Les contributions restent ouvertes jusqu'en 2012, date (optimiste) de la livraison du bâtiment.
Mais on peut tout de même faire confiance à ces architectes qui n'ont pas leur pareil pour jouer avec la monumentalité. Car le triangle ne se présentera frontalement que suivant un seul point de vue : celui d'un conducteur sur le boulevard périphérique. Pour peu qu'il pleuve et fasse brumeux, avancer à allure modérée sur le ruban d'asphalte Porte de Versailles provoquera la même impression que l'approche du Tyrell Building (lui-même démarquage futuriste d'une autre pyramide mais tronquée) dans Blade Runner. Alors, d'un seul coup d'un seul, Paris rattraperait-il son retard en matière de bâtiments "provocants et bigger than life" (le dernier, c'était Beaubourg) ? Alors, Paris 2012 = Los Angeles 2019 ?
Là où la proposition d'Herzog et de Meuron est maligne, c'est qu'elle joue aussi sur un côté Janus. Effrontément monumentale du côté des infrastructures (ce qui dote le boulevard périphérique d'une plus-value: un outil de découverte de la ville) et nettement plus discrète du côté de la ville. Car, à l'échelle du trottoir, le bâtiment pourtant imposant, se la joue Walk like an egyptian et montre son profil le plus rachitique: tranche, totem voire simple aiguille qui monte vers le ciel.
Diffraction de la perception qui rappelle l'approche cubiste d'Erich Kettelhut et Fritz Lang pour définir la ville de Metropolis, ville qui jouait sur la saturation et la répétition des architectures pour générer un agrégat dont la cohérence n'anesthésiait pas l'effroi. Herzog et de Meuron ont le cubisme plus ludique et plus accueillant, mais quoi qu'il en soit, ces exemples n'attestent que d'un seul souhait pour les mois à venir : que le projet ne se noie pas sous les innombrables débats et procédures qu'il ne manquera pas de soulever. Car les tours à Paris (encore une fois, la seule grande ville qui s'en méfie avec un tel acharnement), faudrait quand même pas s'en faire une montagne.
Bon, bon, je m'emballe... Si ça se trouve, ça pourrait aussi ressembler à ça... ou encore pire...
9 commentaires:
En bon parisien qui a vu les dégâts terribles de l'ère Pompidou, je dois avouer que je ne suis guère enthousiaste en découvrant ce projet. Je n'avais pas pensé à "Blade Runner", plutôt aux ambiances glaçantes de "Peur sur la ville" et "Buffet froid". Je ne suis pas sûr que des villes comme Paris gagnent à ce genre de bâtiment qui ne résoudront par ailleurs pas les problèmes du logement. Autant je suis fasciné par les architectures de New-York, autant je crois le charme de Paris n'est pas de cet ordre.
Vaste débat, mon cher Vincent. Paris reste tout de même l'une des métropoles mondiales les plus hostiles à l'architecture contemporaine et ce n'est pas qu'une question de préservation d'un certain patrimoine haussmannien. Il n'y a qu'à voir comment Barcelone réussit à conjuguer préservation de sa structure historique fin XIXe-début XXe et des audaces d'aujourd'hui. Ce genre de projet, certes provocant, manque à Paris et on peut faire confiance à ses auteurs pour le rendre beaucoup plus subtil dans le détail, malléable et accueillant (de grandes terrasses publiques sont prévues à 40 mètres de hauteur pour admirer les toits de Paris) que les dalles pompidoliennes de Beaugrenelle ou La Défense.
Salut Joachim,
Dans le genre triangulaire, j'aime bien l'immeuble de Frédéric Borel, rue Pelleport.
Pas trop mégalo il me semble pour un tas de triangles.
Quant aux tours... 2012, c'est en effet très optimiste, quand on pense au projet de rénovation des Halles, lancé depuis 4 ans - je crois que les pioches sont encore dans les rayons de Monsieur Bricolage.
Eyquem
l'immeuble Pelleport ne ressemble quand même pas trop a une pyramide, non?
je suis perplexe entre faire confiance a H&dM et l'horreur des premières images floues du projet...
Bienvenue Eyquem et Gribouille
L'immeuble de Borel est bien sympathique, mais j'ai du mal à le voir dépasser son côté "BD années 50". Le maître des triangles (ou plutôt des étoiles) en France c'est plutôt Jean Renaudie (http://yves.c.free.fr/givphotof.html) et ses appartements "en parts de vache qui rit".
Quant à moi, j'aurais plutôt tendance à faire confiance à H&dM, leur maîtrise de la matérialité et l'expressivité de leur bâtiment m'ayant toujours bluffé. Mais, il est vrai que j'ai aussi l'impression qu'à chaque projet, ils tendent à repousser les limites du gigantisme voire de la mégalomanie. Mais fallait bien ça pour surpasser le Nid d'Oiseau...
Je ne savais pas trop où déposer ce lien vers un blog cinéma et décor/architecture/climats qui pourrait vous intéresser:
http://sixmartinis.blogspot.com/
Si vous ne le connaissez pas déjà...
Cher R.Claude
Non, je ne connaissais pas ce blog. Merci de m'aiguiller vers une telle mine. J'en profite pour également te féliciter pour la densité de ton blog et le sympathique clin d'oeil que tu m'y as fait.
Entre chez toi et les six martinis, je pense donc encore découvrir beaucoup de choses.
"Toblerone galak" je vote pour !
Renaudie a essaimé partout : http://www.architecturerhonealpes.com/patrimoine/historique.php3?id_loca=92
merci pour ton commentaire sur mon blog qui me permet ainsi de découvrir le tien ! A bientôt
Bonjour Joachim,
C'est intéressant ce que tu soulèves/rappelles sur la question des tours, notamment à Paris. J'avoue que cela ne fait pas partie de mes voeux spontanés, et j'ai des réticences envers le monumental. Mais je suis intrigué. A suivre...
Enregistrer un commentaire