samedi 24 novembre 2007

Sans âge

La semaine dernière avec V. on a vu l’un des plus mauvais films de l’année alors qu’on ne s’y attendait pas du tout. Dans le dernier Coppola, ce sont vraiment le kitsch et le pompiérisme qui sont « sans âge ». Expérience désagréable qui fait tout de même constater une évidence : la bizarrerie même de la filmo de Coppola. Totalement éclipsée par le fameux carré d’as des années 70 (la conversation apocalyptique des deux parrains), elle compte finalement davantage de grands films malades minés par l’auto-justification (Coup de cœur, Cotton Club, Tucker, Dracula, le Parrain 3 et donc ce dernier opus) que de réussites mineures et stimulantes (Outsiders, Jardins de pierre, son grand film crépusculaire, réalisé il y a déjà 20 ans) n’ayant donné au parrain barbu que quelques trop passagers regains de forme.

Il y aurait peut-être une certaine indulgence à voir un totem du cinéma américain reconnaître son tribut à la culture européenne de la première moitié du siècle, les figures ou réminiscences de Bergson, Proust, Joyce, Italo Svevo, Jung, Freud, Hermann Hesse et même… Einstein (le « tout est relatif » du twist scénaristique final) étant disséminées au cours du film… mais bon. La vraie méditation sur l’Histoire, le souvenir et la culture du vieux continent, elle se trouve dans Austerlitz de WG Sebald (et même dans toute son œuvre) dont le film de Coppola serait peut-être d’ailleurs une adaptation involontaire, mais bien pataude.

Nous aurions peut-être été moins sévère avec ce film pourtant attendu si quelques heures auparavant, nous n’avions pas vécu une expérience presque comparable à celle dont veut témoigner le film et autrement plus touchante.



Il s’agissait d’une rencontre, au Centre National de la Danse, avec un chorégraphe dont j’ignorais jusqu’à son nom Daniel Nagrin aujourd’hui âgé de 90 ans. Rencontre entamée avec la projection d’une série de courts-métrages enregistrant ses solos, pour certains créés il y a 60 ans. Ces courtes œuvres (dont une de Shirley Clarke Dance in the sun 1953, visible ici si le chargement n’est pas trop long) présentent de Nagrin la figure d’un danseur en majesté, à la fois classique et moderne, d’une technique irréprochable mais mise au service des vents fluctuants de l’inspiration. Un artiste de la synthèse, un esprit new-yorkais dans ce qu’il a de meilleur, le melting-pot dans un même corps : croisement d’influences et de techniques (mime, jazz, comédie musicale, flamenco, etc…).

Fin de la projection et échanges avec la salle. Le corps a près d’un demi-siècle de plus, sans doute moins souple mais pas rouillé : toujours aussi filiforme et tendu, d’un incroyable maintien (salle remplie de trentenaires plus voûtés que ce vaillant nonagénaire). Nagrin parle de son (auto)formation : comme tous les ados, des journées entières passées à danser devant la radio sauf qu’à force d’insistance et de curiosité…
Au fil de la discussion, instauration d’un vrai sentiment de partage surtout quand il évoque ses propres sensations ambivalentes, ce mélange de frisson et de grincement qu’il y a à se revoir dans le même espace, mais dans son corps d’avant. « It hurts ! » confesse-t-il tout juste en souriant avant d’esquiver (mais en mime) d’autres questions plus frontales sur le vieillissement.

C’est sûr, un type qui a écrit un bouquin délivrant une formule magique pour l’éternité…

… ne peut être que le seul, le vrai, l’unique, « l’homme sans âge ».

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