jeudi 21 mai 2009

Si la vie était un film de Lars von Trier...


... je me repentirais, me sanctifierais, me scarifierais par le feu ou le papier de verre car oui, j'ai failli, j'ai fauté, j'ai dérogé à un article essentiel de ma charte personnelle CINEPHILIS qui synthétise tous mes engagements de spectateur. J'y avais ainsi consigné que le jour où je pourrais enfin voir A brighter summer day (Edward Yang 1991), je déposerai mes RTT, j'annulerai tous mes rendes-vous, je remettrai à plus tard toutes les affaires courantes y compris les plus urgentes. Car ce film, voyez-vous, c'est mon Moby Dick, le film que je rêve de voir depuis des années et qui se dérobe sans cesse à mon regard. Tenté une première fois au cinéma en plein air de la Villette, mais séance annulée à cause d'un orage dantesque deux heures avant la projection. Je l'ai même tél*****gé, mais je refuse finalement de le voir sur un écran d'ordinateur.

Et bien, voyez-vous, ce film est passé, il y a deux jours, à Cannes Classics et j'ai séché la projection. Honte sur moi !...

Peur que tous les autres films de Cannes paraissent fades à côté ou peur de la déception ? Sans doute un peu des deux. Quoi qu'il en soit, j'ai entendu dire qu'une rétro Edward Yang était prévue cette année à la Cinémathèque, donc cette fois, ça devrait être la bonne.

Donc sinon, Antichrist ? Pas autre chose que le film d'un type qui se rêve en Jérôme Bosch né 500 ans trop tard, mais qui se console en tentant d'entrer en télépathie avec Tarkovski pour lui demander les recettes de réalisation du shocker ultime avec une caméra dédicacée par Kubrick. C'est tellement gros qu'on se demande si l'arnaque fait elle aussi, oui ou non, partie du projet. Rajoutons que Paulo Coelho, le "gourou du bonheur" était venu assister à la projection de l'oeuvre du "gourou du malheur", histoire de rajouter encore un peu plus de confusion mentale et esthétique à ce sinistre non-évènement.

6 commentaires:

Griffe a dit…

Ah ah, "Antichrist"... Mais encore?

Slothorp a dit…

Et bien j'aime Lars Von Trier (première période j'entends) ET "A brighter summer day" (qui, vu tes attentes, ne pourra que te décevoir, tout en étant sublime, ce qui te place dans une situation paradoxale, mais non pas contradictoire, le contradictoire étant plutôt de mon côté, moi qui aime "A brighter summer day" ET Lars Von Trier (premère période, j'entends), mais je crois l'avoir déjà dit.
C'est clair ?

Joachim a dit…

Mais moi aussi, j'aime plutôt les précédents Lars von Trier (jusqu'à Dogville) mais un peu comme tout le monde, je crois... Et "Le direktor", ça m'a aussi plutôt fait rire... Mais bon "tu brûleras ce que tu as adoré..." j'ai au moins retenu ça des Evangiles...

Loryniel a dit…

J'ai vu récemment A brighter summer day, sur mon ordinateur - même pas honte. Dommage que nous n'en ayons pas échangé un mot, les rares fois où l'on s'est croisés durant ce Festival.
Au cinéma, ce doit être encore plus beau.

B* a dit…

Résumé judicieux d'Antichrist. J'aimerais ajouter des références supplémentaires, ce film fait appel à beaucoup de choses.

La thématique du génocide s'accompagne toujours de cette question de la banalité du mal énoncée par Hannah Arendt au XXème siècle. Il faut s'y faire, la dichotomie du bien et du mal, depuis le nazisme, est chose banale. Autrement dit il n'y a plus suffisamment de tension dans cette question, pas de quoi en faire un film. Antichrist pataugera dans l'horreur. Tout comme il n'y a pas si longtemps, No Country for Old men, et History of violence, également réalisés par de grands pontes.

Il y a ensuite un côté mistigri. Ce chat doté d'un esprit malin qui vient d'on ne sait où, et qui a prêté son nom à un jeu de cartes. Ainsi qu'au premier album de Mickey 3D : "Mistigri Torture". Difficile de trouver le moindre sens dans cette dernière oxymore, mais le film de Lars Von Trier n'en reste pas moins une illustration frappante.

Si l'hommage à Tarkovski ne profite pas au cinéaste russe, une scène mythique d'un cinéaste français mal aimé éclaire le film du danois à son insu (?). Il s'agit du Nom de la Rose, par Jean-Jacques Annaud, et de cette scène où le jeune héros moine cède à la tentation de la chair auprès d'une fille canon issue du bas-peuple. Le film (tiré du livre d'Eco) évoque souvent la conception religieuse du démon féminin, la femme incarne le mal absolu. Après avoir fait l'amour comme une bête (sans échanger un seul mot) avec elle, le moine ouvre un paquet qu'elle lui a laissé enveloppé dans du tissu, et découvre avec horreur un organe sanguinolent. Elle lui a fait cadeau d'un cœur ou d'un foie d'animal fraîchement tué, pour qu'il se nourrisse, ce cadeau laisse penser qu'elle ressent déjà quelque chose pour lui, mais agit comme un choc, nous dégoûte d'elle, en fait une sorcière, juste après une scène de sexe qui m'avait tout émoustillé du haut de mes 8 ans. Il y a encore quelque chose de ça dans Antichrist.

Mon avis est qu'Antichrist est un film de merde, mais pas un non événement, je suis d'avis qu'il faut prendre cette merde très au sérieux et peut-être au pied de la lettre, car elle est bavarde, elle raconte une certaine misère, une certaine crise de l'inspiration. Qui ne peut que résonner avec l'actualité. Une crise de l'affect, une crise de la pensée, une crise de l'inconscient aussi et surtout. Donc à voir pour tout cela, mais sans hésiter à fermer les yeux au moment où les ciseaux s'apprêtent à couper le clitoris de Mme Gainsbourg.

Oui, le cinéma en est arrivé là...

La pornographie (et puis Abou Ghraib) est passée par là, il suffit de revoir le magnifique prologue d'Antichrist pour s'en convaincre.

Joachim a dit…

Merci B* de ces références.
En passant, cette scène du "nom de la rose" (et le film aussi), c'est aussi un grand choc de mon adolescence (très "les beaux gosses" comme choc, si vous voyez ce que je veux dire).
Pour en revenir à Antichrist, il est clair que le film tente d'organiser la confrontation de l'imaginaire médiéval doloriste avec les "images extrêmes d'aujourd'hui"(gore, porno chic). Bon, je trouve que ça ne produit pas grand-chose ni sur le fond, ni sur la forme. Je ne sais pas si c'est un mécanisme de défense, mais tous les affects du film, me paraissent trop loin de moi (ce qui n'était pas du tout le cas des précédents LVT), pour que je fasse le moindre effort.
Bon, ensuite, une crise d'inspiration, sans doute, mais faut-il s'en formaliser et en tirer des conclusions sur "là où est arrivé le cinéma" ?... Pas la première et pas la dernière fois que ça arrive, ce genre de ratage pompier.
En fait, (et je l'ai déjà dit) je crois que la seule chose qu'Antichrist a produite chez moi, c'est l'envie d'aller regarder du côté de "The descent" ou "Hostel", ces films d'horreur paraît-il hantés par Abou Ghraib, et resteront toujours beaucoup trop teigneux et mal élevés pour être invités à Cannes.