mercredi 3 décembre 2008

Blasphème...

... que de les rapprocher ces deux-là (plutôt ces trois-là en l'occurrence) ?



Trop tôt , trop tard (Jean-Marie Straub et Danièle Huillet 1982)



C'était un rendez-vous (Claude Lelouch 1976)

Deux plans-séquences comme deux performances (celle sportive de Lelouch, celle à montrer dans une galerie pour les Straub). Deux moments d'hypnose et d'ennui. Deux "time capsules sur un Paris irréel". J'adore chercher des détails sur l'ambiance d'une Bastille que je n'ai pas connue: celle sans l'infâme Opéra et chez Lelouch, voir au bout de l'asphalte, ce Paris endormi et désert se mouvoir comme un décor de théâtre. Deux "mises en crise" du cinéma où le regard du cinéaste paraît disparaître derrière la production automatique d'images proches de celles d'autres médiums : caméra de surveillance ou jeu vidéo.

Deux prises de risques tout de même. Prise de risque littérale pour Lelouch prêt à sacrifier son permis moto pour l'amour du cinéma. Prise de risque plus conceptuelle pour les Straub, une sorte de "saut dans le vide" esthétique, un plan littéralement vidé de toute figuration, voire un monochrome filmé.  

En apparence, au vu des ces deux séquences, les Straub tournent en rond et Lelouch va tout droit. L'exact contraire des avis émis sur leurs parcours respectifs, fort de près de 50 ans de cinéma. Malgré des élans sincères, la filmographie de Lelouch s'enferre dans ses tics et s'englue dans le surplace tandis que celle des Straub progresse en creusant un même sillon rectiligne et franc. L'un bégaye. Les autres persévèrent.

De fait, ce que filment les Straub, c'est littéralement un mouvement de révolution, au sens géométrique du terme, mouvement par essence en déséquilibre, en  tension vers l'aspiration de sa propre ivresse : vers le vertige ou la faillite ? Circonvolutions qui semblent épouser la forme même d'une question sans réponse (tourner autour d'un "modèle inaccessible", en l'occurrence celui de la Révolution Française analysée par Engels, le saisir sous toutes ses faces sans jamais parvenir à l'épuiser). 

Quand le plan de Lelouch ne parle que de son assertion (arriver d'un point A à un point B sans surprise et sans encombre), ce que filment les Straub, c'est l'interrogation.

Merci à GM pour l'extrait des Straub et à Doc Orlof pour avoir suggéré le rapprochement (impie?). 

12 commentaires:

HarryTuttle a dit…

Tu peux rajouter le travelling de Marguerite Duras dans Les Mains Négatives ;)

laurence a dit…

La marche:il s'agit d'aller tout droit en utilisant des spirales...peut être est ce le point commun de ces deux déplacements...

Anonyme a dit…

Oh, dis moi, super intéressant !! Je dois revenir voir ça de plus près !

Anonyme a dit…

Il faudrait aussi ajouter ce film de René Clair où tout le monde est immobile (Paris qui dort) et puis la sympathique comédie "Seuls two". Oui il y a un rapport.

Anonyme a dit…

Petite précision : j'ai fait le rapprochement non pas avec "trop tôt, trop tard" mais avec la caméra dans la voiture de "Leçons d'histoire". Si je dis ça, ce n'est pas pour pinailler mais parce que je n'arrive pas à m'expliquer pourquoi les panoramiques de "Trop tôt, trop tard" ou ceux de "Sicilia!" m'ont fasciné, tandis que ces passages de "Leçons d'histoire" m'ont exaspéré...
Peut-être auras-tu une intuition lorsque tu découvriras le troisième coffret Straub.
Nous en reparlerons...

Joachim a dit…

Harry

Je ne connaissais pas ce film de Duras et merci vraiment de me l'avoir fait découvrir. J'adore son rythme fantomatique, son ambiance d'aube où se rejoignent l'aube et le crépuscule. Dans le rythme, c'est l'anti Lelouch. On a le temps de rêver sur le moindre carrefour ou le moindre bout de trottoir. Moi qui suis friand de repères urbains et de "l'infra-ordinaire" de la ville, je suis servi. Et puis j'ai l'impression que ce film constitue une sorte de diptyque avec "Césarée" et ses travellings autour des statures des Tuileries (d'ailleurs filmé la même année, peut-être en même temps d'ailleurs). Encore merci donc.

Laurence

Assez juste cette figure commune de la spirale... Encore des chorégraphies invisibles nichées dans la ville.

Babioles et Hanabi Haribo

Bienvenue à vous (tout comme aux autres d'ailleurs). Je ne connais pas le film de René Clair. C'est vrai que le point commun avec Seuls two aussi, c'est la ville fantomatique. J'ai parlé du film d'Eric et Ramzy dans les quelques posts précédents. A mon sens, une fort belle idée seulement à moitié concluante...

Doc

J'avais bien saisi la nuance. Il se trouve que j'ai reçu le coffret comprenant "Leçons d'histoire" et je me suis précipité sur ces travellings des Leçons d'Histoire dont j'avais entendu parler il y a déjà un moment. Comme toi, ils m'ont un peu déçu, ne retrouvant pas la tension habituelle de leur cinéma (même si la topographie romaine est toujours appréciable). L'impression aussi d'un manque de tension, mais c'est difficile à apprécier (manque de densité dans la façon de saisir le déroulement du paysage urbain ?). Peut-être tout simplement que l'absence de texte sur ces trajets joue aussi...

HarryTuttle a dit…

Je crois en effet que Césaré a été monté avec des chutes de Les Mains Invisibles. ;)

laurence a dit…

Très beau "les mains négatives"la tension ou la pression des mains sur la pierre est donnée par la ligne musicale l'impression aussi d'un regard qui converge vers...la ville de notre temps...

Liaudet David a dit…

Aux Straub et Huillet, je préfére Abramovic et Ullay qui tournent en rond jusqu'à épuisement de leur camionette Citroen Tube dans la cour du Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Eux dedans, nous dehors, ils ne donnent pas de leçon au monde. Les Straub je ne sais jamais s'ils sont poussés par la force centrifuge (vers nous) ou la centripète (sur eux-même) enfin si je crois qu'ils s'agit de la deuxième. Ullay et Abramovic nous parle de leur amour qui certes tourne en rond mais ne s'épuise que mécaniquement et pour nous rejoindre.

Joachim a dit…

Je ne connais pas cette performance d'Abramovic et Ullay. En existe-t-il des vidéos et des photos ? Quoi qu'il en soit, les images que j'ai vu du couple sur You Tube m'ont paru jouer d'un certain humour (quand ils se donnent des baffes ou quand ils sont attachés par leur coiffure) que je ne soupçonnais pas... puisque j'avais l'idée (sans doute en partie fausse) d'un art de la cruauté au sens propre. Donc merci pour la découverte.
Quant aux Straub, je ne pense qu'"ils fassent la leçon". Leur intégrité et leur cohérence sont aussi le signe d'une profonde humilité devant les textes et les idées qu'ils choisissent de "transmettre" par la cinéma. Maintenant, il reste toujours une question de disposition de spectateur, de l'effort qu'on est prêt à produire, de l'envie, etc... Mais je crois qu'au final, leur but est nettement plus tendu vers un "partage" que vers une "leçon", quand bien même leurs films paraissent intimidants ou vouloir "passer en force" dans le regard et l'esprit de celui qui les regarde.
Par ailleurs, pour faire un lien (contraire ?) avec Abramovic et Ullay, ils ne sont pas le genre de couple à mettre en scène leur relation, mais je ne peux que te conseiller le film de Pedro Costa "Où gît votre sourire enfoui" qui lève un peu le voile sur leur intimité créatrice... et leur souci constant vers la clarification et la cohérence de leurs oeuvres.

Seb B. a dit…

"Paris qui dort"... oui c'est "proche" de "seuls two" d'une certaine façon. on pouvait voir le film sur youtube il y a encore peu de temps... mais il a été retiré pour une question de droits...(encore!)... mais j'ai le film en fichier... héhé...

sinon Lelouch n'a pas risqué son permis moto. en fait c'est une voiture et il a bruité la moto ensuite. avec le son de la moto et ses accélérations, un grand angle et la caméra au ras du sol ça donne vraiment une sensation de vitesse. mais je pense qu'ils n'alaient pas si vite.. bref...

Les mains négatives c'est quand même autre chose...

Joachim a dit…

Merci de ces précisions techniques. Cela dit, le film sent tout de même le retrait de permis , vu son nombre effarant de grillages de feux rouges... Comme qui dirait, les 70's étaient nettement plus permissives et voilà sans doute encore un film "qu'on ne pourrait plus faire aujourd'hui" ou "dont aucune télé ne voudrait maintenant". Sinon, question échelle de valeur, le Duras est vraiment d'une autre trempe. La comparaison entre Duras et Lelouch paraît sans doute plus opérante qu'entre les Straub et Lelouch, d'ailleurs... mais aimant trop les grands écarts... On ne se refait pas.