lundi 30 juin 2008

Valse avec Bachir... et dans le sillage de Chris Marker ?

C’est la séquence de l’aéroport, la plus belle du film, qui m’a mis sur la voie.

Celle où le héros se retrouve seul devant le grand panneau des départs, pense pouvoir choisir tous les ailleurs possibles, croit être conscient de vivre « comme dans un rêve » tout en étant convaincu d’être dans le réel… jusqu’à ce qu’il reprenne conscience, qu’il n’est effectivement pas dans un rêve, simplement extérieur à la tragédie du moment, plus largement totalement extérieur à lui-même.

Car Valse avec Bachir ne raconte que cela : le cheminement d’un personnage extérieur à sa propre histoire, à ses propres souvenirs qui doit lutter pour les reconquérir. Cheminement psychanalytique qui va de pair avec la nécessité de la démarche de cinéaste : fabriquer des images manquantes (celles éclipsées par le trauma) grâce à l’exploration d’un genre inédit : le documentaire d’animation.

Ce mouvement réel et irréel à la fois, intiment lié à l’intériorité de l’auteur comme stigmatisant sa propre extériorité au drame ne pouvait sans doute pas se dérouler ailleurs que dans un aéroport : espace générique « toujours le même dans tous les endroits du globe », totalement indifférent à tous les particularismes comme capables d’accueillir toutes les cultures, c’est le non-lieu contemporain par excellence, celui où on l’a l’impression d’être "là et pas là", « partout et nulle part à la fois ».

Dans quel autre film avais-je vu des aéroports filmés ? Oh, sans doute, des quantités, mais lequel avait su le filmer avec à la fois sa dose d’onirisme mais surtout sa pure acculturation, son impression « d’être à la fois présent et absent », son immense inquiétude sous-jacente ? Bon sang, mais c’est bien sûr. Un film comme ça, il n’y en a qu’un, c’est La jetée (Chris Marker 1963).

Noir et blanc: La jetée (Chris Marker 1963)

Couleurs: Valse avec Bachir (Ari Folman 2008)


Et de fait, la démarche d’Ari Folman semble, quelque part, s’inscrire dans le sillon du plus solitaire et irréductible des cinéastes de la Nouvelle Vague (ou de ses alentours). Est-ce le simple plaisir de faire se croiser deux œuvres aussi fièrement inclassables ? Peut-être, mais j’y vois quand même plusieurs points communs :

Ils construisent leurs longs-métrages autour de la quête de l’image manquante comme dans La jetée ou Sans soleil 1982). Pour parler de cette dimension, je ne ferais pas mieux que cet excellent article.

Ils construisent leurs longs-métrages autour d’une psychanalyse de l’Histoire, d’une société, d’une idée politique mais en convoquant l’imaginaire plutôt que l’idéologie, ou plutôt en refaisant « valser » l’imaginaire d’une idéologie. Pour parler de cette dimension, je ne ferais pas mieux que cet excellent article. Mais pour poursuivre quand même, même lyrisme désenchanté que celui à l’œuvre dans Le Fond de l’air est rouge (1977) en même temps que mêms force de certaines séquences de guerre basées sur une ivresse absurde et obscène. (en résonance, chez Folman avec la scène qui donne son titre au film).

Et puis, pour couronner le tout, même façon d’inventer de nouveaux genres a priori improbables mais où dialoguent poésie et politique, jusque dans les limbes les plus enfouis de la conscience.

Au passage, en cette année où l’on se gargarise des Redacted, Cloverfield, REC, Romero et autres « fictions You Tube », ne pourrait-on pas se demander si le genre n’a pas été finalement inventé par Chris Marker en 1973 avec L’Ambassade, stupéfiant « film trouvé » et uchronie glaçante dont je trouve malheureusement peu de traces sur la Toile alors que c’est son domaine d’élection.

En échange, j’ai trouvé ce beau site hommage et surtout cette variation multimédia autour de La Jetée, preuve manifeste que, 45 ans après, ce film continue à muter et pas seulement dans la mémoire des spectateurs.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Maintenant que j'ai vu le film et que je commence à lire les critiques, je dois te dire que c'est la tienne qui me paraît la plus intelligente et la mieux vue. La passerelle avec Marker est tout simplement lumineuse, tellement évidente que personne ne l'avait vu. Bravo!

Loryniel a dit…

Ce papier est absolument remarquable. Bravo !

Anonyme a dit…

Very beautiful, Joachim.
Comme chez Marker, il y a aussi un jeu avec les différents niveaux de réalité qui peut provoquer des collages étonnants, des coq à l'âne...