dimanche 13 avril 2008

Lent fermé

Pas si fréquent de voir, en un temps rapproché, deux films dont chacun promet de tirer une bonne part de leur dramaturgie d’un environnement architectural.
La Zona (Rodrigo Pla) va nicher son polar derrière les murs d’une gated community mexicaine., « ghetto pour riches » enclavé dans l’ordinaire faubourien.
Beaufort (Joseph Cedar), lieu dit d’un huis clos militaire sis à l’avant-poste d’un conflit Tsahal – Hezbollah.

Et finalement, deux récits d’émancipation, deux façons de sortir de l’enfermement, mais l’un d’une façon somme toute théâtrale, l’autre de manière plus surprenante, en interrogeant véritablement le rapport à l’espace et au temps.

Malgré l’originalité de son environnement (dont la part la plus intéressante est évidemment que dans de telles enclaves, plus rien, même la rue, n’est public), La zona m’a eu l’air de prendre des chemins, somme toutes, assez balisés.

L’application du premier plan (qui révèle une banlieue proprette… mais derrière des barbelés) rappelle immédiatement l’ouverture de Blue Velvet (David Lynch 1987) et lance des pistes de comparaison qui ne tournent pas à l’avantage du jeune mexicain. Car, de Lynch à Desperate Housewives en passant par Miranda July ou American Beauty, la banlieue pavillonnaire chic a souvent été explorée comme territoire révélateur des névroses de la classe dominante, et avec nettement plus de bonheur qu’ici.

Si l’on rajoute que pour se dénouer, la fiction a besoin de solder un conflit manichéen entre un fils et son père, où ce dernier se révèle finalement détestable (à votre avis, entre le père et le fils, qui parviendra à « tuer » l’autre ?), on a la mesure de la déception de ce polar finalement commun fondé sur les ressorts convenus de l’intrusion tragique, du huis clos et de la loi du silence.

Tout autre me paraît la complexité de Beaufort, dans lequel je ne peux m’empêcher de voir une assez singulière métaphore psychanalytique sur le désarroi d’ « une jeunesse comme aucune autre » (pour reprendre le titre d’un autre film israélien, que je n’ai d’ailleurs pas vu), celle obligée de gâcher trois de ses vertes années sous les drapeaux.
Habiles parti-pris qui contribuent à la réussite de ce film de guerre (situation de huis clos face à un ennemi non seulement invisible mais quasiment jamais désigné, intensification des moments d’attente en opposition à la routine militaire, atonalité des ambiances comme des couleurs) mais surtout assez heureux assemblage d'un rapport au temps obsessionnel (on peut vraiment parler d’un film ambient, qui martèle pendant longtemps quelques notes restreintes en sourdine) avec un traitement de l’espace qui brouille volontairement les repères en même temps qu’il sait rendre spectaculaire les lieux.
Bâtiment à l’échelle d’une ville de garnison, Krak des Chevaliers post-moderne, le Beaufort du film (pas le fort historique, celui que même « le Hezbollah respecte et ne bombardera jamais », mais plutôt ses extensions souterraines, préfabriquées, quasi industrialisées) reste un espace sans qualités mais pas sans cinégénie. Il devient, in fine l’espace mental de ses occupants : boyaux tortueux, tanière voire piège que l’on s’est à soi-même tendu. La belle métaphore de l’enlisement (du conflit) et du cul-de-sac (politique) que voilà !
De beaux souvenirs de cinéma qui remontent à la surface. Peut-être lointainement Les sentiers de la gloire (Stanley Kubrick 1957) pour les travellings dans les tranchées (qui sont devenues ici des galeries sans lumière), mais plus sûrement celui de THX 1138 (George Lucas 1971, juste en dessous à droite) pour cette exploration d’un espace atone et obsessionnel.



Et l’explosion finale, libératoire, qui n’est pas sans rappeler celle-là, qui nous enjoignait de brûler fétiches de la consommation (jusque et y compris les bibliothèques) pour trouver une nouvelle innocence.

Deux explosions libératoires: Beaufort et Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni 1970)

Comment trouver une sortie ? C’est finalement la question commune de La Zona comme de Beaufort. Mais dans La Zona, on sort du quartier préservé, de l’enclave privilégiée en même temps que l’on sort du film : simplement parce qu’il faut bien conclure l’histoire et marquer le changement du héros. Dans Beaufort, le cheminement est plus tortueux, demande plus d’efforts et, quand vient la dernière image du film, est encore loin d'être achevé. Comme en psychanalyse, somme toute. Il s’agit de (re)voir en face « ce dont on se fait une montagne », de « se perdre dans les méandres » pour au bout du compte « trouver comment en finir ». Ce travail de recherche d’une issue, le spectateur l’aura finalement aussi partagé via le film et c’est ce qui fait le grand intérêt de Beaufort.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Nulle déception pour ma part devant "La Zona" (pas vu "Beaufort"). Je n'ai pas pensé à Lynch car je n'y ai pas vu la volonté de sonder les failles derrière les belles facades, juste celle de confronter deux réalités (dont une qui reste presque constamment hors du cadre). La trame suit certainement un chemin balisé mais efficace. J'y ai vu des caractères tranchés mais pas jusqu'au manichéisme. A part celui qui sort du ghetto, tous se couchent devant la corruption ou la violence, même ceux dont on sent au début qu'ils pourraient véhiculer la leçon de morale.