samedi 26 avril 2008

Madeleine rock: True Stories (David Byrne 1987)

La méthode Facebook ou Copains d’avant pour retrouver, via le Net, camarades de classe et amours de jeunesse s’applique aussi au cinéma et permet de retrouver la trace de films adorés à 14 ans (pour des raisons plus ou moins obscures) et dont on n’avait plus un seul souvenir.

Ainsi, en cette année 1987, tout jeune cinéphile encore traumatisé par Jarmusch et Spike Lee se précipitait derechef vers la nouvelle « perle du cinéma indépendant US », exactement comme une dizaine d’années plus tard, il s’extasiera sur le nouveau « joyau du vivier cinématographique asiatique ». Peu importe si après coup, il n’y a pas de tant de films que ça qui ont passé la rampe (qui se souvient d’Allison Anders ou de Ning Ying ?), cela donnera toujours matière à sourire de ses propres emportements, voire de son indécrottable part de conformisme que l’on n’osera, même (et surtout) à soi-même, jamais avouer.

Mais pour True Stories, j’ai au moins une excuse. Je ne connaissais quasiment rien des Talking Heads à l’époque et si le film m’avait tellement plu, c’était donc pour des raisons a priori strictement cinématographiques et non pas pur réflexe pavlovien de fan.
Le projet en quelques mots : un vrai-faux documentaire autour d’une petite ville texane en pleins préparatifs des cérémonies de son 150 eme anniversaire. David Byrne arbore le Stetson du guide goguenard sur le mode « ça paraît incroyable, mais pourtant ça existe » (« mais pas tant que ça David ! » a-t-on envie de lui hurler à chaque séquence), John Goodman celui de l’acolyte lunaire et d’autres gueules dans leurs rôles attendus d’habitants pittoresques. Autant dire tout de suite que si on aborde le film par ce biais du « Bienvenue chez les Texs », la déception est cruelle. Cela avait dû me paraître original à 14 ans mais aujourd’hui, que tout ces tentatives burlesques paraissent laborieuses et peu drôles… mais en un sens prophétiques du devenir d’un certain cinéma post American Beauty (type Garden State de Zach Braff) qui se veut irrésistible quand il n’est que poussif et déjà fatigué à force d’envoyer le sempiternel et répétitif clin d’œil au spectateur.


Qu’est-ce qui pourtant, à une seconde vision, retient l’attention de ce film mineur mais finalement singulier ? Tout simplement le sens de l’image qui a toujours habité les Talkings Heads et David Byrne en particulier. A ce chapitre glorieux, rappelons l’antécédent Stop making sense (Jonathan Demme 1984). Si ce « concert filmé » était aussi mémorable, c’était que le concert lui-même était déjà soigneusement empli d’une scénographie baignée par l’image (projections, slogans, associations d’images comme on dit associations d’idées, jeux d’images comme on dit jeux de mots). Et bien, True Stories conserve cet esprit-là et s’affirme comme un objet qui offre plusieurs angles de vue et propose des facettes du clip, d’installation ou de long-métrage sans jamais vraiment parvenir à les croiser. Peut-être ce manque d’hybridation qui donne au film un goût d’inabouti, mais en même temps semble annoncer des réussites postérieures plus manifestes comme les clips de Gondry (notamment le Star Guitar des Chemical Brothers pour sa lecture du paysage contemporain) ou les premiers opus de Hal Hartley ou Miranda July pour la comédie suburbaine arty.

L’impression donc de voir un prototype, qui défriche (tout le moins pour un musicien qui a abattu pas mal de cloisons) peut-être maladroitement, mais qui nous vaut tout de même de succulents fragments. Car ce qu’il reste de la vision du film, ce sont finalement autant de petites scénographies ou d’éphémères dispositifs dotés d’un charme inédit.

De la même manière que le groupe avait ouvert la porte des samples, de la sono mondiale, voire du téléchargement avec l’album Remain in Light (1980), True Stories est aussi prophétique, tant il apparaît avoir anticipé sa vision sur Toi Tube, chacune des parties étant finalement plus intéressante que le tout qui les englobe : on retire le liant indigeste du scénario et l’on grappille au hasard des séquences qui, indépendamment, paraissent finalement bien plus réussies que le film.

Au hasard de ce film-dimsum on recommandera donc :

Un clip : cet hallucinant prêche gospel à l’instar des concerts des Talking Heads, nimbé de projections dans lesquelles on pourra s’amuser à retrouver des images annonciatrices du 11/9.


Un slogan : Balancé d’une manière godardo-debordienne et qui devrait figurer au fronton de tous les centres commerciaux du monde et être annoncé à chaque coup d’envoi des soldes :


Une œuvre d’art : cette variation cartographie pop art du plus grand Etat américain.


Beaucoup d’instantanés : sous l’évidente influence de William Eggleston, Byrne déploie tout de même un sens plastique assez sûr et marquant comme quand il montre la construction de cette scène monolithe translucide qui vire à la pure abstraction inscrite dans le paysage.



Et puis une séquence qui a la grâce : celle-ci, bel accéléré de la mutation du territoire américain, directement des grands espaces originels à la suburbia, de la conquête d’un horizon toujours repoussé au mitage de la petite propriété… territoire dont les bardes sont les enfants.


Bon alors, toutes ces friandises parviennent-elles à faire un film ? Pas sûr, mais ça nourrira au moins les deux « albums », celui des Talking Heads comme celui de mes souvenirs.

Et puis, si vous avez oublié cette merveille (de Tina Weymouth la bassiste dissidente, and co), vous pouvez vous le remettre en mémoire.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

je donne ma langue au chat

Anonyme a dit…

"True stories" de David Byrne ?

Joachim a dit…

Oh ça alors, Damien, bluffé par ton acuité !
Mérite plus que des bravos.
Parce que l'image est bien cachée dans le film, en plus... (presque furtive)
A moins que les indices...
La chronique sur le film suit (j'espère ce soir si je ne suis pas trop occupé). Mais sinon, avais-tu vu le film à l'époque ? Et t'avait-il laissé un quelconque souvenir ?

Anonyme a dit…

Je n'ai pas vu le film, c'est par les indices que j'ai trouvé. Je ne connais pas tant d'artistes à la fois stars et expérimentateurs qui auraient touché au cinéma, ensuite l'écho du titre du film de Lynch a fait le reste...

En tout cas, les images sont troublantes : il y aurait tout un montage à faire sur les prémonitions du 11 septembre dans le cinéma américain, comme Spiegelman l'a fait dans "A l'ombre des tours mortes" avec de vieilles BD...

benoit ciron a dit…

salut,

je pense que nous ne sommes presque pas de la même génération car je connais plus les artistes inspirés par Byrne que Byrne lui même.

je suis par exemple un fan absolu d'Arcade Fire eux-même fans des Talking heads.
Et je dois dire que le Zach Braff de la série Scrubs me fait hurler de rires.
quant à son film, "garden state", je suis d'accord avec toi mais j'ai pu le voir avec un maximum de neutralité _si j'avais vu une bande annonce ou lu une critique de ce film_je ne l'aurai même pas regardé (lorsqu'il est passé sur canal+) malgré l'admiration que je porte à Zach Braff.
ce film m'a vraiment surpris et ému , je ne l'ai pas trouvé drôle du tout mais je m'y suis senti bien.
à charge, je suis honteusement fan des séries américaines basées sur la beauté (des adolescents interprétés pas des vieux de 20ans), la niaiserie amoureuse, la mélancolie omniprésente, et le couché de soleil permanent style "one tree hill".


enfin tout ça pour dire que tu m'a donné envie de voir "true stories"
(l'argument star guitar m'a définitivement convaincu).


salut

Anonyme a dit…

Je ne peux qu'être sensible, pour ma part, à cette madeleine que tu nous propose avec ce beau billet.
Je n'ai jamais vu "True stories". Je me rappelle de sa sortie, mais je n'ai véritablement découvert et aimé les Talking Heads que 4 ou 5 ans plus tard.
Merci aussi pour le clip du Tom Tom Club, j'avais complètement oublié ce morceau.
Quant à "Stop making sense", c'est définitivement le meilleur film-concert du monde, à la mise en scène épousant parfaitement l'évolution du show (je n'ai pas encore vu le Stones/Scorsese, j'ai un peu peur).

Liaudet David a dit…

Joachim,
Je vois que nous sommes nombreux à avoir envie de voir ce film. C'est formidable de déclencher cela. j'aime le travelling comme un point de vue de passager d'automobile (sur le côté); il faudra aussi juger le cinéma sur le mode du déplacement du chauffeur et du déplacement subi de la place du mort. ce n'est pas très clair mon histoire, enfin il est question d'un glissement du regard volontaire et d'un glissement du regard contraint. je suis heureux aussi de lire benoît ici. A bientôt.

Joachim a dit…

A la même époque que David Byrne, un autre film s'ouvrait sur un travelling latéral, belle exposition "New Orleans" pour "Down by law" de Jarmusch:
http://fr.youtube.com/watch?v=De94vAT4EU8
(même si en l'occurrence, l'extrait sur You Tube me paraît un peu trafiqué avec un clip de Tom Waits).

Plus récemment, le début de Zodiac de Fincher:
http://fr.youtube.com/watch?v=329frKadTgk

Si j'ose un rapprochement scabreux, je dirais que le film s'ouvre par un regard "à la place du mort", ce qui peut avoir sa logique pour une traque au tueur en série. Comme trouvaille du jour, je n'ai que cette constatation fort tirée par les cheveux.

Et puis, un souvenir du temps de mes études d'archi. La seule fois où les profs nous ont parlé de cinéma, nous ont sommé de voir un film, juste pour cette séquence:

http://fr.youtube.com/watch?v=K2Gqbnml8aw

Unknown a dit…

Hello Joachim,

Je me permet de te contacter car je cherche désespérément le DVD de ce film de David Byrne pour dimanche. Es tu as Paris ? As tu ce DVD ?

Merci d'avance pour ta réponse.

Bonne journée !

Unknown a dit…

Bonjour,

Je recherche désespérément True Stories de David Byrne pour une projection ce dimanche.
Un de vous serait il à Paris et prêt à prêter ce film en DVD ?

Par avance merci !

Joachim a dit…

Ah non, désolé. Je pense qu'il ne doit exister qu'en zone 1.