samedi 22 décembre 2007

Les meilleurs moments de cinéma ne se trouvent plus dans les films (Rétro 07 # 1)

Début de la rétrospective 2007 avec quelques moments de cinéma ayant surgi là où je ne m’y attendais pas : dans une expo, un concert, un spectacle en bref partout ailleurs que dans le noir de la salle de cinéma ou sur une galette DVD.

- La correspondance filmée Erice / Kiarostami : Pièce centrale du vaste champ des possibles proposé par cette expo (encore visible jusqu’au 7 janvier). A condensé chez moi une gamme d’impressions contrastées, mais a fini par emporter une vive adhésion. D’abord légèrement agacé par la complaisance, le refuge dans l’autoréférence et le commentaire dont faisaient part les premiers fragments filmés, j’ai vite abdiqué en comprenant que se joue là sous nos yeux bien plus qu’un véritable échange entre deux cinéastes. Ça commence comme une partie de tennis et ça finit en sonatine, tant la distance entre les deux s’amenuise. Premiers jeux d’observation chacun sur ses gardes, puis rebonds et renvois de balles, montée souveraine au filet de Kiarostami qui le premier ose dévoiler sa propension à ne filmer que l’infra-ordinaire (le cul des vaches, la pluie, le cours des rivières), jeu de fond de court plus attentiste d’Erice, puis finalement enchaînement de reprises à la volée sans que la balle ne touche plus jamais le sol. C’est une bouteille à la mer qui établit le relais de film en film, style divaguant, imprégnation réciproque du style de chacun des deux cinéastes. Fini hypnotisé par le flottement de cette bouteille sur les flots, objet dérisoire qui porte en même temps une incroyable destinée. Là, les deux démarches des cinéastes trouvent une perspective convergente : parvenir à donner une matière au temps, une matière qui rend poétique la trivialité du monde et la fait résonner aussi bien dans l’éphémère que dans le pérenne. On savait déjà que le vent soufflait où il veut. On savait aussi que le vent nous emporterait. On sait maintenant que rien n’a plus de valeur que des petits bouts de matière qui flottent.
Il faut que je trouve le temps de repasser à l’expo pour voir en entier Five (Abbas Kiarostami 2004) dont je n’ai aperçu qu’une étonnante procession de canards.

- And now for something completely different, la performance scénique du groupe Tilly and the wall, plus particulièrement le fait que la section rythmique soit assurée non pas par un batteur, mais par cette infatigable danseuse de claquettes qui impulse ainsi la cadence du groupe.

Elle est à gauche de l'image et je ne sais pas si elle s'appelle Neely, Kianna ou Jamie.

Inversion des sources. C’est la chorégraphie qui paraît générer la musique et non pas la danse qui vient se plaquer sur les notes. (si ce n’est pas clair, il y a des vidéos de concert sur la page My Space). Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve cette incarnation de la synchronisation du son et de l’image intensément cinématographique. Si j’étais Godard, je poursuivrais ce qui a été commencé avec les Stones et les Rita et je m’amuserais comme un petit fou à joindre, disjoindre, synchroniser, désynchroniser, couper le son et remettre l’image de ces chants et ces danses. Si j’étais son petit-fils indigne, Tarantino, je mettrais immédiatement ce groupe dans mon film, juste pour compléter ma collec de super bonnes girls. Mais bon, je ne suis que moi et tout cela risque d’être beaucoup plus compliqué.

- Toujours vu sur une scène, le film de Thierry Baë qui constitue la première partie de son spectacle Journal d’inquiétude. Sans doute l'un des plus grands moments de sincérité souriante et farceuse projetée sur un écran cette année. Finalement assez proche de Substitute (Fred Poulet et Vikash Dhorasoo) dans sa manière de se saisir de la caméra en toute gaucherie assumée afin de transcender une impasse personnelle et professionnelle.

- Et puis, sur le Net, la découverte des Concerts à emporter, véritable caverne d’Ali Baba de plans-séquences musicaux. Bon, pas tout vu, mais j’en retiens deux qui m’ont fait frisonner :

Celui qui suit Au revoir Simone dans les rues de NY l’été sur la chanson Stay Golden. Tout m’y paraît parfait : l’activité de la rue saisie au vol (et les quelques notes du groupe de jazz New Orleans qui entament la séquence), le timing général du plan, la distance à laquelle les filles sont suivies, leurs voix suspendues, leurs incantations minimales, toute cette distance impeccable qui les transforme en sirènes des trottoirs, en fées urbaines… et puis le vent dans leurs cheveux, leurs charmantes hésitations, le moment où la caméra se retourne et découvre leurs visages. Rhâââh... Bon, allez j’arrête là, mais je serais presque prêt à échanger tout Virgin Suicides (Sofia Coppola 1999) contre ce seul plan-là.

Et puis, cet autre où The National entame son Gospel à bord de ce rafiot. Sans doute la meilleure séquence de tangage et de déséquilibre marin depuis la séquence maritime dans Du côté d’Orouet (Jacques Rozier 1972) qui donnait réellement l’impression au spectateur qu’il pouvait chavirer à tout moment ou se prendre la baume sur le coin de la figure. Et cet espace à la fois immense (la mer) et étriqué (la coque de noix) de devenir l’écrin de la voix impassible du chanteur et de la noblesse de son spleen.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Les concerts à emporter sont aussi une de mes grandes découvertes de cette année sur le net. Le singulier travail de cette équipe nous offre pas mal de moments de grâce. Pas tout vu non plus, mais j'aime particulièrement la balade d'Andrew Bird à Montmartre et Arcade Fire dans le monte-charge.

Joachim a dit…

Il y a aussi un bel a cappela d'Elysians Fields dans leur loft de Brooklyn. Pour ma part, marrant d'avoir découvert ce site à un moment où je n'en pouvais plus de voir (et d'entendre) des chansons dans les films français (l'impression d'une martingale, d'une fausse bonne idée qui n'apporte pas toujours grand-chose au niveau de la mise en scène qui reste souvent au niveau des scopitones). Je crois que ce qu'il y a de précieux dans ces séquences, c'est la façon dont un chanteur ou un groupe ose se mettre en scène et pousser sa prestation pour réagir à un environnement inattendu. Après, pas très grave que le filmage soit parfois hésitant ou le son parfois parasité. Dans ces séquences, je retrouve le même bonheur que l'irruption des chansons dans "Jules et Jim" ou "Pierrot le fou": une chanson portée par un corps et une voix qui se met en scène.