D’une sagesse confondante dans sa forme d’enfilade de vignettes troussées au stabilo, Coluche l’histoire d’un mec (Antoine de Caunes 2008) n’est pas un film très convaincant, mais en même temps la simple évocation de son sujet évoque quantité de questions stimulantes ( L’esprit « 68 anarcho-libertaire » est-il soluble dans le mitterrandisme ? La politique a-t-elle besoin des « hors-politiques » pour se réinventer ? Combien de minorités faut-il agréger pour constituer une majorité ?) sans doutes plus promptes à animer une disserte de Sciences-Po qu’une œuvre de cinéma.
Le film de De Caunes a au moins le mérite d’être le « premier film d’un (ex)comique sur un autre comique ». En ce sens, il dit, peut-être à son corps défendant, deux ou trois choses pas forcément commodes sur le « métier de faire rire ».
Pour Coluche, le passage de la scène à la tribune politique qui semble aller de soi. Avoir la France à ses pieds et galvaniser la foule, il sait faire… De comique à tribun, il n’y a qu’un pas… sauf que Coluche lui-même se prend les pieds dans le tapis de cette métamorphose. On peut rire des politiques mais sans doute pas avec l’engagement politique. D’où le constat amer au bout de sa parodie de campagne : l’idole populaire flirte avec un devenir d’ennemi du peuple. Métamorphose dérangeante, dont le film lui-même ne paraît pas trop savoir quoi faire, d’autant plus qu’elle cadre mal avec l’évocation du saint médiatique qu’il s’agit de ne surtout pas déboulonner (épilogue totalement inutile sur les Restos du Cœur).
Alors que nous dit ce film sur le métier de comique ?
Combien il jouit d’être seul en scène. Combien il se détruit d’être seul contre les autres.
Ce motif de la solitude du comique, on la retrouvait également, il y a quelques mois dans le cinéma français avec Seuls two (Eric et Ramzy 2008). Pour une fois qu’une comédie française nous offrait une idée « bigger than life » (un duo cartoonesque livré à lui seul dans un Paris désert), le résultat est-il à la hauteur ? A moitié, disons. Car au-delà de la force indéniable de certains moments (comment rater des séquences où Eric hurle seul face à Paris du haut de Montmartre et où Ramzy se motive dans le couloir du vestiaire du Stade de France avant d’entrer dans le stade vide), c’est la faiblesse de l’autre moitié du film, la « partie peuplée » (celle avec d’autres acteurs, il en faut bien) qui crève les yeux. Ces seconds rôles catastrophiques paraissent totalement étanches à l’esprit et au rythme insufflé par le duo vedette (en même temps, c’est un peu là-dessus que repose l’intrigue). Reconnaissons au moins à cette tentative de concrétiser un cauchemar fantasme du comique: rester seul en scène, mais n'avoir plus personne à faire rire...
... et surtout de tirer davantage vers la fable que vers la gaudriole. Et si fable il y a, quelle en serait la morale ? Ils ont voulu Paris vidé comme nouvelle scène et ils sont bien emmerdés quand ils se retrouvent seuls au monde ? Les comiques savent-ils partager ? Plus la scène est grande, moins les autres comptent ?
Cet élargissement de la scène comique, c’est aussi l’un des sujets de Lenny (Bob Fosse 1974). Ce « Citizen (Lenny) Bruce » a un Rosebud bien particulier : pas tant un secret intime qu’une constante interrogation inquiète : « jusqu’où suis-je obligé d’aller pour faire rire ? ». De fait, rire et transgression vont de pair et le comique est le seul qui ose franchir ce Rubicon. De fait, le one man show se poursuit devant les tribunaux. Les procès deviennent plus drôles que les spectacles, eux-mêmes vidés de leur substance comique car remplacés par des lectures des actes du procès plus drôle et obscène que le spectacle qu’il était censé incriminer. Discours contre discours. Réversibilité de la parole de la loi, plus bouffonne encore que celle du bouffon. Cette réversibilité est accentuée par la mise en scène très « isolante » de Fosse. Succession d’extraits de one man show, d’interviews, de confession face caméra, rareté des scènes de groupe. C’est en fait une succession de paroles isolées et étanches entre elles que le film met en scène. Les postures de Lenny, lui-même, rappellent alternativement celles du prêtre...
... puis du juge ...
... pour finir par celles du boxeur qui livre le combat de trop.
Alors que nous dit le film sur le comique ? Qu’il exerce d’abord une fonction civique avant de finir livré en pâture à celle-ci ?
Où va le comique, de toute façon ? Là où personne ne pourra le suivre. Où va-t-il se réfugier ? Sur la lune. Man on the moon (Milos Forman 1999). Car contrairement à l’adage, le comique sait bien que les plaisanteries les plus longues sont les meilleures, que ce n’est pas en faisant rire tout de suite que l’on obtient le rire le plus ravageur. Cet éloge du comique de la durée, de l’étirement et de l’exaspération propose un dénouement, certes sentimental, mais beau pied de nez à la mort, elle-même incapable de mettre fin à la plaisanterie.
Que nous dit Andy Kaufman dans cette séquence : là où je suis le mieux, c’est là où vous ne pourrez pas me suivre. Qu’est-ce qu’un comique alors ? Quelqu’un qui dit : je suis avec vous, mais de l’autre côté ?
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La vignette du haut est tirée de l'Accablante apathie des dimanches à rosbif, BD de Gilles Larher et Sébastien Vassant inspirée du destin de Desproges et dans la veine émouvante et légèrement misanthrope de son modèle.
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