mercredi 19 décembre 2007

Transporté

Cette hélice ou ces pales de moulin à vent...
... c’est la figure géométrique que j’ai croisée au cours de mes déambulations dans les espaces de circulation de l’Ecole d’Architecture de Marseille, où j’ai donné un cours ce lundi.
Bon cette hélice, quelque chose d’à la fois graphique et spatial, une sorte de synthèse entre le bi et le tri-dimensionnel, entre un espace et sa représentation. Ça tombe bien, exactement la base du cours : les rapports entre l’architecture, la ville, le paysage et le cinéma (en gros, une continuation de ce blog par d'autres moyens).
Bon ce cours, toute une histoire.

Avant : arrivé avec une heure et demie d’avance (évidemment, le campus paraissait tellement loin sur le plan, mais le bus est un « jet » comme ils disent là-bas). Du coup, déambulations « à la Elephant » dans les couloirs de l’école, l’une des rares en France à vraiment faire preuve d’ambition architecturale. Incroyable paradoxe : les écoles d’archi en France – sauf peut-être les toutes récentes - sont les lieux d’enseignement où l’espace est le plus mal traité et ne semblent connaître comme matériau que le parpaing et le préfa. Heureuse exception ici donc : une sorte de cloître contemporain ouvert sur la pinède dont la fluidité des espaces semble d’elle-même appeler la dolly et la steadicam.

Pendant : tout ce qu’on avait oublié de l’ambiance étudiante (c'était pourtant, il n'y a pas si longtemps) qui revient à la surface. On a tous quitté un amphi en milieu de cours, mais maintenant qu’on est passé de l’autre côté, ça fait drôle. Et puis le prof est (forcément) contagieux, d’où absolument personne assis aux cinq premiers rangs. Et puis les brouhahas qui augmentent tandis que je galère pour retrouver les extraits au milieu du DVD (salaud de time-code, tu vas t’afficher !), ma crispation perceptible, parfois le sentiment de voir mes points de QI passer à travers la passoire de mon cerveau, des élèves qui désertent devant Antonioni, mais d’autres qui rient devant Tati et Elia Suleiman (vraiment de l’humour pour architectes), un « wah c’est beau » devant Le vent nous emportera (étudiant esthète, tu es mon ami) et puis plusieurs « ouais » quand j’annonce que je termine avec des clips de Gondry (mais en préparant un tel coup, n’utilise-je pas le même stratagème que le prof d’allemand qui veut bien se faire voir de la 5emeB en lui faisant apprendre les paroles de Tokio Hotel ?). Pas beaucoup plus de réactions, d’où quelques regrets de ne pas les avoir suscitées davantage, d’autant plus que j’ignorais tout de leur degré de cinéphilie… Je ne saurais donc jamais si comme tout le monde aujourd’hui, ils ont trouvé Wenders daté ou si, comme moi à leur âge, ils ont été hypnotisés par l’Etat des Choses (mais l’extrait que je leur ai montré était quand même bien trop court).

Après : un point commun entre plusieurs des extraits que j’ai projetés me saute enfin aux yeux.

De L’Homme à la caméra (Dziga Vertov 1929)…

… au clip Guitar Man (Michel Gondry pour les Chemical Brothers 2002),
en passant par ...

Playtime (Jacques Tati 1967)

Stalker (Andrei Tarkovski 1979)

... et The World (Jia Zhang Ke 2005)

… si des films nous plaisent, ce n’est pas parce qu’ils « avancent comme des trains dans la nuit » (Truffaut) mais, comme l'attestent la présence de ces tramways, trains de banlieue, bus, draisine ou monorail, parce qu’avec eux « on est sûr de prendre le meilleur transport en commun » (Godard).

Peut-être que pour être totalement transporté, il ne me manquait plus que l'hélice croisée au détour du couloir se mette à tourner et à imiter le mouvement de l'hélicoptère.

Bon, je n’ai pas la phrase exacte de Godard (quelqu’un l’a ?) mais je me souviens très nettement l'avoir entendu proférer une telle métaphore dans « Cinéma – Cinémas ».

2 commentaires:

Ihu a dit…

Je crois qu'il dit, tout simplement : "le cinéma, c'est un transport en commun..."

Joachim a dit…

Merci bien. Je n'avais donc pas rêvé cette métaphore (cela dit, avec un petit effort, elle n'était pas si difficile à trouver).