A une semaine d’intervalle, j’ai encore vécu l’expérience Une sale histoire (Jean Eustache 1979) : j’ai vu deux fois la même séquence dans deux films différents. La séquence, c’est quelqu’un regardant médusé sur une télé vintage 1973 le discours de Nixon annonçant la fin de la guerre du Vietnam. Les deux films, ce sont American Gangster et I’m not there. Effet pas si surprenant dans la mesure où les deux films s’affirment comme deux beaux spécimens de l’ « american compile », une suite de vignettes pas désagréables mais qui donnent toujours l’impression d’avoir été piochées ailleurs et reproduites avec un tel luxe de détails et de souci de vraisemblance que les véritables auteurs des deux films ne sont pas Ridley Scott et Todd Haynes, mais Arthur Max et Judy Becker les deux chargés du "production design".
Passons vite sur American Gangster qui s’adresse sciemment à un spectateur qui n’aurait vu ni Serpico, ni le Scarface de De Palma, ni les Affranchis, ni les Parrains, ni Deer Hunter, ni Shaft, ni même… Jackie Brown…. ni même Catch me if you can dont il reprend la structure narrative pour déboucher sur la même étrange (et filiale ?) complicité entre le chat et la souris.
Le cas d’ I’m not there est encore plus décevant, mais aussi plus intéressant. Voir Todd Haynes se livrer au « pastiche impeccable » n’est pas une surprise, mais Far from Heaven allait au-delà de la surface sirkienne pour explorer l’inconscient de la société américaine des années 50 (marrant de voir comme ce film comme Safe 1995, le grand film de Haynes, peuvent rétrospectivement se lire comme une sorte de pré-Desperate Housewives).
Ici, rien de dire qu’on ne dépasse jamais la surface des images tant Haynes se soumet au slogan de Velvet Goldmine (1998), pensant qu’il fera tout le travail : « la vérité d’un homme, c’est son image », slogan trop fier de sa warholitude pour être réinterrogé. Mais ça ne marchait déjà pas pour Bowie, alors pourquoi serait-il adapté à Dylan ? Oui, c’est sûr, Haynes (et Lachman son chef op) restent de bons illusionnistes qui n’ont pas leur pareil pour leur faire croire qu’ils savent (re)faire de belles archives et retrouver tel grain de 1974 ou tel dispositif d’interview d’ABC en 1966. Mais cela suffit-il pour traquer la vérité d’un personnage, même public ? Incroyable de voir le nombre de séquences ne consistant qu’en reconstitutions d’interviews, discours, autoanalyses d’un personnage si conscient de sa situation. Même plus du « cinéma filmé », mais de la « télé cinémascopée ». Finalement assez proche du piteux Ali de Michael Mann (réalisateur sans doute estimable, mais tellement rouleur de mécanique qu’il en devient suspect). C’est l’anti Control (Anton Corbijn) qui nous rendait Ian Curtis si proche parce que si loin du mythe, si inconscient de la révolution souterraine qu’il était en train d’accomplir.
Symptôme d’un film qui ne dépasse jamais ses intentions pourtant alléchantes : son prologue dans un noir et blanc qui évoque le film sur la créature de Roswell : dissection de Dylan, cet extra-terrestre, six acteurs… pour au final si peu d’incarnation. La véritable virtuosité ne réside pas dans ses changements d’acteurs, mais simplement de supports. Débauche d’efforts pour juste un "euréka !" de casting et quelques slogans de plus : « Je est un autre », « un artiste, c’est un phénix », « le véritable héritier d’une tradition doit savoir revêtir les oripeaux du traître et de l’imposteur ».
A quelques moments, I’m not there ébauche pourtant une direction trop vite abandonnée quand il s’attache à quelques (esquisses de) personnages de fans trahis par le passage de Dylan à l’électricité ou de croquignolets Black Panthers cherchant à tout prix quel sens politique donner aux paroles de Bob. Là, j’aurais aimé suivre celui qui a crié « Judas » et qu’il ne soit pas juste une voix dans la foule. Là, j’aurais aimé que le film s’attarde sur la façon dont les textes de Dylan, pourtant baignés d’une poésie parfois sibylline, rencontrent l’écho de toute une société, tout un pays, toute une époque, sans que son auteur l’ait consciemment cherché. Il y aurait sans doute un beau film à faire sur la façon dont certaines chansons tombent à pic dans nos vies, nous suivent qu’on en vient même parfois à leur en vouloir. Il ya aurait sans doute beaucoup à faire sur la force et l’ambivalence de certains refrains (au hasard totalement subjectif de Bashung, de Clash, de NTM ou de Dominique A) et sur les milliers de sens qu’on peut leur donner, un film qui n’est pas dans I’m not there, mais quelque part entre Nick Hornby et On connaît la chanson. Mais bon, là, je m’égare.
Passons vite sur American Gangster qui s’adresse sciemment à un spectateur qui n’aurait vu ni Serpico, ni le Scarface de De Palma, ni les Affranchis, ni les Parrains, ni Deer Hunter, ni Shaft, ni même… Jackie Brown…. ni même Catch me if you can dont il reprend la structure narrative pour déboucher sur la même étrange (et filiale ?) complicité entre le chat et la souris.
Le cas d’ I’m not there est encore plus décevant, mais aussi plus intéressant. Voir Todd Haynes se livrer au « pastiche impeccable » n’est pas une surprise, mais Far from Heaven allait au-delà de la surface sirkienne pour explorer l’inconscient de la société américaine des années 50 (marrant de voir comme ce film comme Safe 1995, le grand film de Haynes, peuvent rétrospectivement se lire comme une sorte de pré-Desperate Housewives).
Ici, rien de dire qu’on ne dépasse jamais la surface des images tant Haynes se soumet au slogan de Velvet Goldmine (1998), pensant qu’il fera tout le travail : « la vérité d’un homme, c’est son image », slogan trop fier de sa warholitude pour être réinterrogé. Mais ça ne marchait déjà pas pour Bowie, alors pourquoi serait-il adapté à Dylan ? Oui, c’est sûr, Haynes (et Lachman son chef op) restent de bons illusionnistes qui n’ont pas leur pareil pour leur faire croire qu’ils savent (re)faire de belles archives et retrouver tel grain de 1974 ou tel dispositif d’interview d’ABC en 1966. Mais cela suffit-il pour traquer la vérité d’un personnage, même public ? Incroyable de voir le nombre de séquences ne consistant qu’en reconstitutions d’interviews, discours, autoanalyses d’un personnage si conscient de sa situation. Même plus du « cinéma filmé », mais de la « télé cinémascopée ». Finalement assez proche du piteux Ali de Michael Mann (réalisateur sans doute estimable, mais tellement rouleur de mécanique qu’il en devient suspect). C’est l’anti Control (Anton Corbijn) qui nous rendait Ian Curtis si proche parce que si loin du mythe, si inconscient de la révolution souterraine qu’il était en train d’accomplir.
Symptôme d’un film qui ne dépasse jamais ses intentions pourtant alléchantes : son prologue dans un noir et blanc qui évoque le film sur la créature de Roswell : dissection de Dylan, cet extra-terrestre, six acteurs… pour au final si peu d’incarnation. La véritable virtuosité ne réside pas dans ses changements d’acteurs, mais simplement de supports. Débauche d’efforts pour juste un "euréka !" de casting et quelques slogans de plus : « Je est un autre », « un artiste, c’est un phénix », « le véritable héritier d’une tradition doit savoir revêtir les oripeaux du traître et de l’imposteur ».
A quelques moments, I’m not there ébauche pourtant une direction trop vite abandonnée quand il s’attache à quelques (esquisses de) personnages de fans trahis par le passage de Dylan à l’électricité ou de croquignolets Black Panthers cherchant à tout prix quel sens politique donner aux paroles de Bob. Là, j’aurais aimé suivre celui qui a crié « Judas » et qu’il ne soit pas juste une voix dans la foule. Là, j’aurais aimé que le film s’attarde sur la façon dont les textes de Dylan, pourtant baignés d’une poésie parfois sibylline, rencontrent l’écho de toute une société, tout un pays, toute une époque, sans que son auteur l’ait consciemment cherché. Il y aurait sans doute un beau film à faire sur la façon dont certaines chansons tombent à pic dans nos vies, nous suivent qu’on en vient même parfois à leur en vouloir. Il ya aurait sans doute beaucoup à faire sur la force et l’ambivalence de certains refrains (au hasard totalement subjectif de Bashung, de Clash, de NTM ou de Dominique A) et sur les milliers de sens qu’on peut leur donner, un film qui n’est pas dans I’m not there, mais quelque part entre Nick Hornby et On connaît la chanson. Mais bon, là, je m’égare.
Quand Warhol avait filmé Dylan (ci-dessus), on avait déjà compris: le dernier endroit où il a envie d'être là (be there), c'est bien devant une caméra.
En somme, pour parler comme un sémiologue (mais c’est sans doute ce à quoi prétend aussi Haynes), un film bien trop du côté de l’émetteur (Dylan figure médiatique) et pas assez du récepteur (ceux qui écoutent Dylan). Peut-être l’inverse du Caïman de Moretti qui pour déconstruire le personnage public de Berlusconi choisissait sciemment le versant du discours tellement celui de l’image était vicié d’avance.
American Gangster et I’m not there, un film de studio et un film indépendant, un film qui réunit trois oscarisés et un autre toute la « experimental jet-set » (de Soderbergh à Gus van Sant en passant par Kim Gordon, ils sont tous au générique sauf Harmony Korine qui devait avoir piscine), mais finalement la même vanité, voire la même vacuité : des slogans en lieu et place de dramaturgie (celui d’ American Gangster, c’est « gangstérisme, stade suprême du capitalisme » et surtout beaucoup trop de compile et pas assez de DJ pour foutre le feu et fusionner ces morceaux épars récoltés ailleurs. Mais bon, il n’y a qu’un seul Tarantino.
4 commentaires:
Je n'ai pas encore vu "I'm not there". J'hésite car j'ai vraiment entendu du pour et du contre. Peut-être irais-je pour Cate Blanchett. En revanche, j'ai vu American Gangster très récemment. Je suis en train de rédiger un billet sur ce film à paraître. Le message du film peut sembler douteux où le dealer (qui est quand même peu recommandable) est presque sympathique au bout du compte. Ce n'est pas le meilleur film de Ridley Scott. http://dasola.canalblog.com
"I'm not there", c'est sans doute décevant mais bon, ça peut être vu dans la mesure où ça ne ressemble pas trop aux films américains de base.
Quant à "American Gangster", le problème est à mon avis plus général que de rendre un dealer sympathique. C'est celui de ne pas avoir de point de vue sur les mécanismes économiques et politiques qu'il décrit. Le "plus" du film (ce qu'il n'a pas pris chez d'autres), c'est son "petit cours de libéralisme appliqué" (la partie "gangstérisme, stade suprème du libéralisme") mais malheureusement, ça ne débouche pas sur grand-chose.
Ca y est, je l'ai vu, et j'ai trouvé ça interminable, totalement désincarné, embrouillé par les multiples références, ne faisant jamais confiance à la musique sinon dans une vision clipesque etc... Echec à peu près total, le premier de Todd Haynes.
Oui, en fait, c'est simplement ça le problème: beaucoup trop de discours, pas assez de musique. D'où la beauté du dernier plan, le seul où l'on voit Dylan presque dans le noir, hanté par son souffle d'harmonica: un plan comme une extinction, un soupir d'autant plus intense qu'il est fort ténu.
Je crois qu'il y aurait beaucoup à dire sur l'inconscient télévisuel de T. Haynes: ses films réussis préfigurant la dramaturgie des séries, et ses films ratés (pas fan de "Velvet Goldmine" non plus) qui se voudraient de la disjonction godardienne ou du coq-à-l'âne fellinien, mais qui ne ressemblent en fait à rien d'autre qu'à du zapping fatiguant.
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