lundi 15 juillet 2013

Des marches

L'empreinte d'un acteur sur la pellicule, c'est aussi la musique de ses pas, le rythme de sa marche, plus ou moins régulière, plus ou moins suspendue.

Ecouter les pas des acteurs, la métrique de leur démarche, ça suffit parfois à structurer toute une scène. Plus besoin de dialogue, plus besoin de psychologie, tout passe dans  la façon dont leurs souliers entrent en contact avec le sol, le frappent ou l'effleurent.

Deux exemples.


Lee Marvin dans Le point de non-retour - Point Blank (John Boorman 1967).

Des pas comme des coups de marteau qui paraissent résonner jusqu'au coeur de la terre. L'énervement et la détermination toute entière concentrées dans ce rythme régulier du claquement des talons. Et surtout un jeu d'échos, non seulement sonore (le pas dans le couloir) mais surtout visuel (tout le travail sur les déformations géométriques et les reflets à l'infini), où le son et l'image paraissent se modeler l'un l'autre.




Fanny Ardant dans Vivement dimanche ! (François Truffaut 1983)

Une séquence en variation de la célèbre déclaration de L'homme qui aimait les femmes ( "Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie"), mais au-delà de l'auto-citation truffaldienne...

Là, c'est un pas tout aussi régulier que celui de Lee Marvin, mais ô combien plus évanescent. Il y a, bien sûr, de la régularité dans ce claquement des talons hauts, qui rappelle le cliquetis d'une trotteuse. Mais ce rythme des pas, c'est aussi celui d'un autre engrenage plus secret : celui de la déduction de l'héroïne. Le petit sourire à 0:28 est merveilleux, car on a compris qu'elle a compris et à partir de là, elle module son pas, affine son rythme comme à l'intérieur d'elle-même, elle affine son raisonnement. Toutes les subtilités de son jeu de Fanny Ardant passent juste dans les variations de ses pas, qui effleurent le trottoir avec une entêtante régularité. Un exemple aussi pour rappeler que Fanny Ardant, ce n'est pas qu'une voix. 

Et si vous avez d'autres exemples, histoire de constituer une "démarchothèque"...

9 commentaires:

santiago a dit…

(légèrement hors-sujet mais pas trop)
A brûle-pourpoint, je pense surtout à la superbe "leçon de démarche" dans Tea and Sympathy de Minnelli

Ou, plus près de nous, les derniers pas de Kevin Spacey dans Usual Suspects...

Voilà un bien beau sujet en tout cas

Dr Orlof a dit…

Si je me souviens bien, Buñuel a engagé Jeanne Moreau dans "Le journal d'une femme de chambre" pour sa démarche.
On ne se lasse pas de son petit défilé en bottines pour le vieux fétichiste.

Joachim a dit…

Bonjour Santiago

Ah la, la, encore un aveu embarrassant à faire : jamais vu "Thé et Sympathie" (donc encore un film à rajouter sur la liste des "à voir").

Quant à Usual Suspects, je me souviens effectivement du soudain changement de démarche de Verbal Kint, qui produisent aussi au son un "déclic" littéral, quelques millisecondes avant la résolution.

Et cher Doc, oui, effectivement Bunuel... Je gage qu'aujourd'hui Tarantino, en bon fétichiste du pied, doit aussi faire des "castings" de pas ou de démarches.

D&D a dit…

Bonjour,
Je ne vais pas savoir être suffisamment précis, mais ce qui me vient, en lisant le billet, c'est Cassavetes. Opening Night et Faces, je crois, peut-être Husbands...
Bah, si je ne me trompe pas, je repasserai "compléter" à la revoyure.

Joachim a dit…

Bonjour D&D
Heureux de vous retrouver, ça faisait longtemps. Concernant Cassavetes, le souvenir marquant, e premier qui me vient à l'esprit, c'est celui du "leg trick" dans la représentation d'Opening Night :

https://www.youtube.com/watch?v=TeW2PTnrGro

Mais il doit effectivement y en avoir bien d'autres (ne serait-ce que le pas de deux pressé et excédé entre Gena Rowlands et le petit garçon dans Gloria, quand elle cherche à se débarrasser de lui et qu'il revient sans cesse vers elle).

DnD a dit…

Ah, le "leg trick", bien sûr ! Quelle pure merveille... J'ai aussi en tête le son des pas de Rowlands pour le début de la représentation, cette démarche qui n'en finit pas d'échapper in extremis au déséquilibre complet, à l'effondrement.
Ça y est, j'ai terriblement envie de revoir ces films !

Clara M a dit…

La relation cinéma/architecture est un thème récurrent du festival les Journées de l'architecture.

Si cela peut vous intéresser, envoyez-moi un mail à presse@ja-at.eu, et je serai ravie de vous en dire plus sur ce festival et les manifestations en lien avec le ciné et l'architecture !

Bonne continuation,

Clara, Maison européenne de l'architecture

laurence a dit…

les marches ...voila bien un joli sujet...il me semble qu'on apprend à parler aux enfants mais pas à marcher ils le font tout seul ... c'est engrammé quelque part ... et chacun laisse faire...et pourtant une jolie marche ...quel bonheur...mais se voit on marcher...les comédiens eux travaillent...ils ont raison...de cette marche nait toute la poèsie du mouvement ...curieusement ce post vient répondre à mes réflexions merci

Joachim a dit…

Merci Laurence

Sur les premiers pas, il y a ce sublime pas de deux entre Denis Lavant et un bébé dans "Mauvais Sang" de Leos Carax :
https://www.youtube.com/watch?v=ZX8hdHDZX4Q