lundi 17 mai 2010

Objets inanimés

"Des objets qui deviennent des êtres humains et des êtres humains qui deviennent des objets". Il n'y a pas que l'archi-buzzé Rubber (qui au cas où vous l'ignoreriez prend pour héros un pneu tueur) à partager ce credo. C'est aussi celui délivré en conférence de presse par Michelangelo Frammartino à propos de son ample poème de folk-cinéma Il Quattro Volte.
A ce film, on pourrait mettre en exergue les paroles du Col de la Croix-Morand (Jean-Louis Murat):
"Quand montent des vallées / les animaux brisés / par le désir transhumant / je te prie de sauver / mon âme de berger".
Car c'est bien cette âme qui au cours des quatre parties du film paraît voguer, être épié puis recueillie par la caméra, fuyant le corps d'un vieux beger pour ensuite passer au coeur de son troupeau, puis vers un arbre sacré (elle est là l'Arlésienne du Tree of life de Malick !). De là, le film tient son pari de passer du côté du règne animal puis carément d'adopter le "point de vue" de la matière concrète du monde. Dit comme ça, on craint le trip new age Mais c'est aussi la malice de cette célébration qui lui évite d'échapper au trip new age mâtiné d'éloge de la régression et des choses simples dont la civilisation moderne nous aurait éloigné. Frammartino, comme Suleiman, appartient à cette famille de rares cinéastes respectueux de l'éthique et de l'intégrité du plan-séquence comme des vues Lumière, mais qu'ils savent pimenter par quelques accents tatiens ou keatoniens.

Parvenir à captiver avec le destin d'un pneu ou d'un tronc d'arbre n'est pourtant pas une nouveauté spécifique à cette édition cannoise. A la projection du film ready-made de Dupieux (un slasher tourné par Marcel Duchamp), me sont revenus mes (quasi) premiers souvenirs de cinéma liés à un film oublié (de moi comme de l'histoire du cinéma): Le Ballon rouge (Albert Lamorisse 1956) et à la simple magie de voir des objets se voir dotés d'une belle nervosité. Au ressenti des ambiances comparables lors des deux projections (rires émerveillés des mioches d'hier, ricanements complices des post-ados trentenaires d'aujourd'hui), je pourrais méditer longtemps sur le voisinage de réaction et la connexion mentale entre ces deux films, mais quelque part, elle est éclairante sur la sincérité du geste de Dupieux, geste limité et suspect de snobisme branchouille (et pour ma part, je trouve ça plus drôle que Steak), mais geste tout de même net et intègre.

Pour l'ocassion, tremblez lecteurs ! Un petit mash-up entre Lamorisse et Dupieux : REVENGE OF THE THINGS !

Bientôt, je parlerai peut-être du Socialisme à visage godardien, vu enfin ce matin à vitesse normale.

1 commentaire:

Ska a dit…

J'ai beaucoup aimé aussi Il Quattro Volte. Mais je n'ai pas vu Rubber, occupé que j'étais à l'ACID ce soir-là pour un film dont le titre (Robert Mitchum est mort) est ce qu'il a de meilleur...