vendredi 2 avril 2010

Kung fu claquettes

"For me there are what I call essential films : kung fu, Fred Astaire, porno. (...) It is the moving image per se that is the message in this kind of films, the way that the films simply moves on the screen without asking you questions."

Werner H. in Herzog by Herzog, 2002

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Découvert ces propos d'Herzog (avec une pique collatérale à Godard), il y a deux jours via Wildgrounds. Ils me séduisent, en même temps qu'ils me paraissent réducteurs (mais sans doute devrais-je lire l'ouvrage en entier pour m'en faire une idée plus précise). Ils me séduisent parce qu'au fond, je me demande encore et toujours quel est le degré d'innocence des images au cinéma, s'il est encore possible que des films (ou simplement des séquences) tiennent absolument toutes seules sur l'écran, sans référent, sans discours, sans effet rhétorique. Cette idée de revenir à l'image se justifie pour et par elle-même dans le simple enregistrement de son mouvement, c'est toujours excitant. En même temps, je ne vois pas très bien en quoi il faudrait limiter ce type d'émotions à des (sous-) genres particuliers, qui plus est, des genres disparus ou ayant mauvaise réputation, présentant donc l'immense avantage de ne pas être investi (voire pollué) par la glose cinéphilique. Je suis assez perplexe devant ce discours militant pour le non-discours, mais sans doute faudrait-il que je m'aventure un peu plus dans les propos (et la filmo) d'Herzog pour les faire mieux résonner.

En attendant, ces propos (qui m'ont aussi rappelé la quête de Tsaï Ming-Liang dont le mix burlesque, porno, comédie musicale de La saveur de la pastèque cherche à revenir à une essence des corps au cinéma) ont fait naître dans mon esprit l'envie d'un beau duo - duel :


... comme ils m'ont rappelé le beau final en claquettes d'un film d'art martiaux :



Zatoichi (Takeshi Kitano 2003)

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Rajout : Sur Facebook, un habitué de HK Cinemagic (que je remercie chaleureusement) me fait découvrir cet extrait de kung-fu (qui évite malicieusement d'être) classé X :



Chinese torture chamber story (Bosco Lam 1994)

Reste que le fantasme ultime du film kung-fu, sexe, claquettes devant lequel Werner Herzog déposera les armes, reste toujours à concrétiser. Avis aux téméraires qui voudraient relever le défi.

5 commentaires:

Père Delauche a dit…

[A] (traduction)

Bonjour Joachim,

Euh, que nous dit Herzog dans le passage en question [p. 138, Herzog par Herzog ; entretiens avec Paul Cronin] ?

En gros, il avoue ses "affinités" avec des cinéastes tels Griffith, Murnau, Poudovkine, Buñuel, Kurosawa ; les frères Taviani (de Padre Padrone) et Dreyer (notamment celui de La Passion de Jeanne d'arc). Il ne se sent pas beaucoup proche d'un Tarkovsky, qui selon lui, aurait fait des films pour plaire aux "intellectuels français"...

[ensuite, je traduis assez fidèlement - en style indirect]

Pour lui, voici ce qu'il appelle des films "essentiels" : les films de kung-fu, Fred Astaire, porno. Du cinéma "cinématographique", pour ainsi dire. Quelque chose comme Mad Max, avec ses crashes en voitures ["collisions of cars"] ou Broadway Melody of 1940, avec Fred Astaire. Il aime Fred Astaire : le visage le plus insipide débitant le plus insipide des dialogues que l'on peut jamais entendre devant un écran, alors que cela marche magnifiquement. Et Buster Keaton. Le seul fait de penser à lui l'émeut. C'est l'un de ses "arguments" [bien que : "witness" = "témoin"], lorsqu'il affirme que certains des meilleurs cinéastes étaient athlètes. C'était la quintessence de l'athlète, un vrai acrobate.

C'était l' "image mouvante" en soi [en elle-même] qui était le message de ce genre de films, la façon dont le film se déroulait simplement à l'écran sans poser de questions. Il aime ce genre de cinéma, qui n'a pas la fausseté et l'imposture des films qui essaient si durement de livrer un idée lourde au public ou d'avoir les émotions artificielles de la plupart des films hollywoodiens. Les émotions d'Astaire sont toujours merveilleusement stylisés. Quelqu'un comme Jean-Luc Godard est pour lui une contrefaçon [ou "imposture"] intellectuelle comparé à un bon film de kung fu.

Père Delauche a dit…

[B] (commentaire)

Sur le principe, il n'a pas tout à fait tort. Il y a une "pureté" (une "nudité") de l'acte de filmer, de jouer et de voir dans ce type de séquences. Mais, vu dans un ensemble beaucoup plus large et complexe, envisagé maintenant comme un agencement de séquences en vue d'obtenir un film, ce raisonnement devient vite un peu court, si ce n'est stupide.

Ainsi, si on prend deux heures, ou même une heure trente des meilleures séquences de kung-fu (de porno... ou de Fred Astaire), et qu'on se les passe en "bout à bout", je ne suis pas sûr qu'un spectateur ordinaire (et même, aguerri) puisse rester captif devant ce qu'il voit : ça aura quelque chose d'indigeste !

On constate alors que les scènes "marquantes" (d'un grand film de kung-fu, porno, etc.) ne tiennent le plus souvent que par la grâce des artifices (les personnages, l'intrigue, le décor). Ou, pour le dire autrement, qu'un grand film de kung-fu (ou autre) n'est pas seulement un film juste avec d'excellentes scènes de combat [ou "autres" ;-] Et partant, qu'on ne peut pas détacher ces artifices de l'ensemble-film, en particulier ; et, de façon générale, on observe que le caractère factice - des procédés les plus racoleurs aux plus sophistiqués - est indissociable du cinéma ; voire, indispensable pour produire des émotions devant un film.

Autrement, ce serait autre chose, de l'ordre du "document" (plus ou moins brut) ; mais pas du documentaire - qui est également une construction. Et enfin, à la limite, ce serait beaucoup plus intéressant de considérer la problématique de l' "innocence des images", par le biais du sport - et encore ! car, nous n'avons pas là le même type d'émotions générées.

Joachim a dit…

Merci, cher Père, pour cette traduction précise. Nous devons partager à peu près le même ressenti face aux propos d'Herzog. Maintenant que j'y pense, je crois bien ne jamais avoir réussi à voir un film porno ou de kung-fu du début à la fin... non pas par pubibonderie, mais sans doute à cause de cette absence "d'agencement" que vous évoquez (cela dit, je n'ai pas dû essayer les bons titres, non plus).

M. a dit…

Quoi??! Joachim, vous plaisantez? Tsui Hark ça vous dit quelque chose? Il était une fois en Chine I, II, III... Si ce n'est pas déjà fait, il faut foncer voir tout ça!

Joachim a dit…

Oui, euh, glups, cher M... J'ai réduit le "kung-fu" à sa version cinéma d'exploitation et ai vite fait l'impasse sur un répertoire fort estimable mais que j'avoue humblement très, très mal connaître. De Tsui Hark, je n'ai vu que Time and Tide (et les Histoires de Fantômes Chinois qu'il a produit). Je dois aussi avoir vu les classiques "Touch of zen" et "Raining in the mountain" de King Hu, mais il y a bien longtemps. Il me reste donc encore beaucoup de découvertes à faire dans ce continent (quasi) inexploré.