samedi 26 décembre 2009

Dans le hot de Noël

Il fait froid, mais ce n'est pas une raison pour refuser le déshabillé. Suite (et fin provisoire?) du vrac intime de mes confessions érotico-cinéphiles.

Le détail vicelard que je suis le seul à remarquer :



Les traces de soutien-gorge sous les nuisettes des héroïnes de Du côté d’Orouët. (Jacques Rozier 1973) Pourquoi celles-là particulièrement ? Parce que ce film si post-68 dans l'esprit me paraît à ce moment-là faire preuve d'une pudeur presque excessive. J'y verrais même une infime entrave à l’immense naturel proverbial du cinéaste. Voilà bien en tous cas le film auquel il m’a toujours "semblé manquer une scène coquine" (quand bien même, un tel ajout dérogerait à l’esprit de ce « sea, girls and sun but no sex » dans lequel le désir rôde tout de même mais toujours sur le mode de la métaphore et de la légère cruauté).

A contrario, le film qui fait tous les efforts du monde pour paraître érotique et qui ne l’est pas pour un gramme :

Bien que j’adore le film et bien que j'y ai appris comment dire p.....ze en danois (obeknell), les scènes cochonnes des Idiots (Lars von Trier 1998) n’ont jamais rien éveillé chez moi. Il est clair que le regard médical et entomologiste du psychopathe danois n'aide pas trop à faire advenir le désir. Nous lui décernons donc le titre de "cinéaste le moins érotique du monde".

La scène érotique la plus inattendue :



Venant après une heure et trente-sept minutes d’un documentaire sur les circuits mondialisés de l’agro-alimentaire, ce malicieux strip-tease (visant à se débarrasser de tous les produits exploitant les richesses du Sud) d'Antonietta Pizzorno, l'épouse et complice de Luc Moullet dans la réalisation de Genèse d’un repas (1978) est aussi une introduction à une autre mise à nu : celle du documentariste, qui pour conclure son enquête livre à la fois son credo et les paradoxes tant intimes que politiques mis à jour par sa démarche.

Et tant qu'on est
dans le strip-tease, la vidéo inavouable vue X fois :

J’avoue ne rien connaître à la filmographie de la starlette X du moment, Meggan Mallone mais nonobstant son aimable vulgarité, j’aime assez la teinte burlesque de ce strip-tease dansé.




Bon, tout ça pour dire que sans préjuger des qualités d’actrice de la sexy-girl, je me demande si son charmant abattage ne la désignerait pas comme "l'actrice porno que j'aimerais voir un jour dans une comédie".

Et tant qu'on est dans les comédies, les quelques mots les plus empreints de sensualité :

«Not only Prokofiev, but also Ravel »… (Bo disant ça avec le Boléro en fond sonore) dans Ten (Blake Edwards 1979).

Et puis tout récemment :
"Elle espérait avoir affaire avec la petite qu'elle aimait bien, qui en prenant son pied lui donnait un vague plaisir". (La voix-off des Herbes folles décrivant, puisque ce n'est pas évident sorti de son contexte, l'activité d'un magasin de chaussures).

Et tant qu'on est dans les prises de pied, l'oeillade plus ou moins discrète qu'on n'oublie pas :

Shortbus (John Cameron Mitchell 2006), ça fonctionne comme un cabaret : chacun vient faire son numéro où coexistent transgressions et bons sentiments. Et ça se visite comme un squatt d'artistes en plein centre ville : ça a l'air d'une autre planète alors que c'est tout près de chez nous, on regarde ça avec une certaine envie, pensant qu'on aimerait être à leurs places au lieu de vivre nos vies bien tranquilles. Mais une fois la visite terminée, ne restent du film que quelques souvenirs épars, dont ces yeux-là, juste après l'amour :

.... "regard caméra post-orgasme" sans doute pas aussi décisif que celui de Monika (Ingmar Bergman 1952), mais qui reste néanmoins une oeillade troublante qui m'a suivi ces dernières années.

Et tant qu'on est avec elle:

Après enquête, il apparaît que le dit regard appartient à une charmante new-yorkaise du nom de Shanti Carson (état civil : actrice, cracheuse de feu, créatrice de mode), auteur d'une web-série sentimentalo-exhibitionniste Forever... for now, sorte de Sex and the city avec beaucoup moins de city et beaucoup plus d'autofiction. Je suis loin d'avoir tout regardé et je ne jurerais pas que tout soit d'un haut niveau, mais au-delà des (inévitables pour le genre ?) minauderies et complaisances, je perçois une nette franchise dans cette parole filmée, rendue pourtant ambivalente par le statut ambigu de ces images : jouées, réécrites ou improvisées et récoltées en direct ?



L'air de rien, je vois même dans cet épisode une maîtrise discrète dans l'art si périlleux de filmer les confessions sur l'oreiller : balancement entre pudeur (des images) et impudeur (des propos), frissons des rapprochements et frôlements des épidermes, profils perdus des visages, fragmentation des corps qui évoquent un art contemporain du blason. Le malaise qui pourrait se dégager de ces images est assez vite atténué, pas tant par l'instinct voyeur de l'internaute, que par la jovialité ou la bonne humeur qui s'en dégage. Rappelons que nous ne sommes qu'à quelques blocks de chez Woody Allen, et que pour être plus sexués, ces new-yorkais-là n'en restent pas moins tout autant perdus dans leur psyché. On reste toujours gré aux pensionnaires de Manhattan et Brooklyn de privilégier, comme issue à leurs névroses, plutôt l'éclat de rire que la crise d'hystérie.

Et puisque ces images redéfinissent la frontière entre les genres (tant cinématographiques que sexuels), restons dans le transgender :



... avec cet élégant montage (même si je ne suis pas fan de la musique) où les femmes jouent aux hommes mieux que les hommes. D'autant plus délectable que le trouble et l'autorité qui en émane s'évanouit dans le montage réciproque, davantage axé sur la dimension strictement comique du travestissement. J'attends donc un montage qui compilerait les attitudes "féminines" de Brando ou Mastroianni et en pensant aux "acteurs ou actrices qui pourraient être grimés en l'autre sexe", je ne cesse de me délecter de ce parallèle (que je suis peut-être seul à voir, mais tentons ) entre ces deux figures de l'androgynie :

Marcello dans Le Bel Antonio (Mauro Bolognini 1960) et Julie dans Victor Victoria (Blake Edwards 1981)
Tant que nous sommes dans le délectable, poursuivons avec d'autres plaisirs des sens :

Quand je pense à des films ou des séquences qui m'ont particulièrement stimulé le goût et l'odorat, les deux exemples qui me viennent à l'esprit sont les scènes de cuisine de Blissfully yours (Apichatpong Weerasethakul 2002) et de Be with me (Eric Khoo 2005, pas d'images désolées). D'abord parce que celles-ci savent mettre en jeu le toucher (aliments caressés, soupesés au gramme près), d'autant plus que la cuisinière du film de Khoo est aveugle. Compenser les sens manquants, c'est le meilleur moyen d'exacerber les complémentaires. Mais surtout parce que durant ces scènes se prépare quelque chose de bien plus essentiel que de simples mets ou pommades : carrément un philtre d'amour.

La preuve. Ceux qui goûtent à ces préparations finissent eux aussi experts dans l'art des caresses, ou plutôt des baisers tactiles.

Blissfully yours (le film qui a montré les plus beaux ventres au cinéma)

Be with me (le film qui a montré les plus beaux épidermes au cinéma).

Et tant que nous sommes dans les caresses :

Finissons avec l'une des plus belles scènes de chambre au cinéma (des déjà citées Amours d'une blonde de Forman) :



Scène combinant admirablement art du portrait, attention à la fragilité des corps et cette lutte perpétuelle entre la grâce et la gaucherie, à laquelle aucun de nous n'échappe, dès lors qu'il s'agit de se mettre à nu.

7 commentaires:

Charly a dit…

C'est Noël : pluie d'extraits, de commentaires, etc. Merci !

Joachim a dit…

Plaisir d'offrir, joie de recevoir ... surtout un post qui s'encanaille, vieille canaille ;-) !

Ludovic a dit…

Cela valait le coup d'attendre ! Le talent de Joachim me paraît paradoxalement à la fois dans la transition et la synthèse !

Gilbert Pinna, le blog graphique a dit…

A propos de la scène de chambre dans "Les amours d'une blonde":

"I can't find you": terriblement drôle et terriblement émouvant. Tout est dit.

Frederic a dit…

je deteste ce billet ;-) trop riche, trop dense, et qui surtout me renvoie à tous ces films que je n'ai jamais vus et que je ne verrai jamais - autant d'émotions manquées et perdues...

d'ailleurs, je déteste aussi ce blog que je ne lis que par sado-masochisme... (à moins, bien sur que ce ne soit pour l'originalité des angles d'analyse et la richesse du propos... mais bon...)

Joachim a dit…

Ludovic
Vos éloges me vont droit au coeur, même si je pense avoir un peu tardé à me mettre, pour ainsi dire, à nu. Et il est vrai qu'entre l'excitation de l'attente et l'ennuyeux agacement du languissement,la frontière est parfois mince et périlleuse à manier.
Gilbert
En effet. Ce film de Forman reste indépassable par son émotion et son ironie, mais qui ne se place jamais au-dessus de ses personnages.
Frédéric
Encore une fois, merci pour ces éloges paradoxaux qui m'ont fait sourire. Si j'ai au moins pu éveiller des envies... Rassurez-vous, mon ignorance de la chose rugbystique ne m'empêche pas non plus de trouver du plaisir à la visite de votre élégant blog. Et peut-être (je dis bien peut-être) la sortie prochaine d'Invictus d'Eastwood prenant pour cadre la Coupe du Monde de 1995 permettra de nous trouver un objet d'intérêt partagé... ;-)

Ed(isdead) a dit…

Très beau bouquet final, Joachim.

Formidable, le début de ta note : Etre soudain attiré par un détail sur l'écran, quelque chose qui semble avoir échappé au cinéaste ou aux acteurs et qui nous trouble d'autant plus que l'on croit être le seul à le remarquer.

Bonnes fêtes !