lundi 17 août 2009

Cinéastes libres et publics

Figure 1 : Un cinéaste se met le public dans la poche.

(Luc Moullet présentant La Terre de la Folie au FID 2009, via...)



Figure 2 : Un cinéaste cherche le clash avec le public.
(Sogni d'oro, Nanni Moretti 1981)

En langage télé, on dirait que Moullet sait réussir ses lancements, tandis que Moretti, tente le baroud d'honneur du chauffeur de salle devenu fou, et de fait, sort le public tapisserie du studio. de sa consubstantielle apathie. Et pourtant, ces deux face-à-face de cinéastes avec le public ne paraissent antinomiques qu’à première vue. Pour tout dire, j’ai même l’impression que la présentation de Moullet aurait tout à fait sa place dans un film de Moretti, puisqu’on y rit de la même manière : en montrant au public que la meilleure façon de jouer avec lui, c’est quand il adore être pris à contre-pied.

Les points communs entre les films de Moretti et les documentaires de Moullet paraissent assez évidents : faux nombrilisme, mise à nu de soi, mise en scène plus ou moins consentie de son entourage, intention de démonter la façon dont les idéologies et les engagements du moment influent sur le noyau intime ou amical. Autarciques mais pas autistes. D’ailleurs, à ma connaissance, (comme quoi, on ne se refuse aucun indice, même le plus tiré par les cheveux), ce sont les deux seuls cinéastes à s'être dirigés en maillot de bain.

Palombella rossa (Nanni Moretti 1989) et Ma première brasse (Luc Moullet 1981)

A la découverte des premiers films de Moretti (Je suis un autarcique 1976, Ecce bombo 1978 et Sogni d’oro 1981), un premier soulagement : il y avait déjà des bandes de geeks dans les années 70. Notre génération n’a pas l’exclusive des adolescents attardés rêvant de révolution (tout du moins esthétique) et vivant encore chez leurs parents, ça existait déjà en 1976. Quel réconfort (après avoir lu autant d’articles culpabilisants sur la sénile adulescence) de voir la façon dont Moretti peint de manière à la fois tendre et cinglante, les atermoiements de sa génération. Quelque part, le Moretti débutant filme, 30 ans avant, la même chose que Judd Apatow : les projets improbables autour desquels se soudent une bande d’amis. Dans Je suis un autarcique, la petite troupe veut révolutionner le théâtre. Dans En cloque mode d’emploi, les énergies (si l’on peut dire) se conjuguent pour monter un site internet cinéphilico-coquin. Projets limite risibles vu de l’extérieur, mais rendus dignes par les cinéastes en dépit de leur teneur hautement improbable. On pourra gloser à l’infini sur la façon dont le théâtre d’avant-garde et les discussions politiques ont été remplacés par les DVD et les forums internet mais agréger une amitié, n’est-ce pas là la question primordiale ?

A découvrir ces films-là, on est également frappé rétrospectivement d’y voir comment ils interrogent constamment plusieurs médiums (théâtre, radio, cinéma, télé) pour au bout du compte une seule question : l’adjectif « libre » leur colle-t-il bien ? A l’époque des premières radios libres, comment faire du cinéma qui le soit tout autant ? Le plus important n’est pas tant de chercher à produire quelque chose de nouveau, mais quelque chose de nouveau qui soit audible, voire interactif. Refus de se conformer à la vulgate audiovisuelle, à la facilité de l’air du temps, mais dans le même mouvement, souci que cette recherche parle à d’autres qu’à soi-même, que cela ait un sens, que cela résonne. Somme toute, il ne suffit pas de pousser un cri. Il faut trouver le bon écho.

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