jeudi 9 juin 2011

Spectre de New York

On pourrait déceler une certaine ironie (voire du cynisme) à voir disparaître l'auteur de The revolution will not be televised au moment même où les images des révolutions syriennes et des mobilisations espagnoles nous parviennent noyées dans la masse du Net, sans intéresser plus que ça la télé (en même temps, ce n'est qu'une supposition puisque je ne regarde plus la télé).

Pour moi, Gil Scott Heron, c'était comme Johnny Cash, un prophète dont la densité et la minéralité de son oeuvre ont débroussaillé des pans entiers de la musique des dernières décennies. Je dis ça, mais en fait, je connais(sais) aussi peu Gil Scott-Heron que Johnny Cash. Ils font partie de ces artistes dont je sais ce qu'il faut en dire mais dont je n'ai qu'une toute petite idée de leurs oeuvres (et encore, seulement leurs fondements). Mais bon, j'ai encore la vie devant moi pour aller fouiller et dénicher les détails de telles discographies, me dis-je pour m'auto absoudre de ma paresse.

En fait, pour moi, Gil Scott Heron reste et restera le héros de l'un des plus beaux films de 2010, le clip de New-York is killing me réalisé par Chris Cunningham.


Les étincelles nocturnes et les frottements urbains, les effets de coulisses très simples (travelling arrière au centre, travellings latéraux sur les côtés), mais incroyablement efficaces pour donner à percevoir le déploiement progressif de la nuit new yorkaise, tout cela concourt évidemment à la force de la symphonie nocturne de Cunninghan, mais le plus impressionnant est la façon dont la voix rocailleuse de Gil Scott Heron vient se poser, faire saillir et résonner la noirceur de ce fond pictural. C'est la voix d'un survivant, d'un spectre dont le profil ne se devine qu'à la faveur d'éphémères lueurs nocturnes. Et quand ces mots minéraux qui semblent sourdre du coffre d'un chanteur éraillé viennent rencontrer les minimaux éclats colorés de cet ensemble nocturne, c'est une véritable réaction électrique qui se produit. Preuve s'il en est, que nous tenons avec cette vidéo, une souterraine déclinaison en négatif (voire en maladif), et 80 ans après, de La Fée Electricité (Raoul Dufy 1937).

Comme il n'y a qu'un Fantôme de l'Opéra, Gil Scott Heron restera par la magie de cette vidéo, l'éternel Fantôme de New York.

***
PS: Intéressant de comparer aussi ce clip "multi-fenêtres" (à l'origine, une installation montrée au MOMA où, si j'ai bien compris, les trois écrans étaient disposés en U, renforçant l'effet d'immersion urbaine) à celui de Chris Milk pour Arcade Fire (The wilderness downtown), sorti à peu près à la même époque (vers octobre 2010 si mes souvenirs sont bons).

Cunningham / Gil Scott Heron : Hiératisme / Hypnose (devant un paysage magnifié) / Montage (image, son, découpage) tout en unicité.

Chris Milk / Arcade Fire : Fragmentation / Interactivité (et reconnaissance d'un contexte familier) / Montage (image, son, découpage) tout en foisonnement et surgissement.

1 commentaire:

D&D a dit…

Merci pour ce partage, Joachim. Je ne connaissais si Chris Cunninghjam, ni Gil Scott Heron, et me voilà simplement subjugué.