samedi 28 août 2010

Souvenirs du festival de Locarno

Revenu du festival de Locarno, les impressions parfois contradictoires se bousculent dans l’esprit. Cadre majestueux, douceur de l’atmosphère, public réceptif, jurés avenants, réalisateurs et acteurs disponibles… Autant d’atouts pour placer ce festival pas loin de la pole position. Beaucoup moins de stress qu’à Cannes, c’est sûr, et au vu du glorieux historique du festival, l’espoir de dénicher quelques pépites qui seraient passées à travers les mailles de Cannes comme de Venise.

Pour mettre en bouche, l’indicatif (« très Quinzaine ») qui ouvrait les séances rappelait les glorieux titres passés sur les bords du Lac Majeur en même temps qu’il jetait en pâture à sa cinéphilie perpétuellement inassouvie, des nouveaux noms totalement inconnus sur lesquels on ira peut-être jeter un œil si jamais…

Inconnues, c’était bien d’ailleurs le propre de 90% des signatures de cette édition, avec pour corollaire ce « pile ou face » autant désiré que craint à chaque début de projection. Les noms connus nous ramenaient d’ailleurs aux valeurs hexagonales avec leurs confirmations :

- malheureuses : les piteux onanismes filmés d’Homme au bain de Christophe Honoré et des Bas-Fonds d’Isild Le Besco, ce dernier évoquant le film d’un recalé de la Fémis demandant asile au Groland;

- mais aussi rassurantes : la belle bal(l)ade générationnelle de Memory Lane de Mikhaël Hers. Même si ce premier long reste sur les terres, tant stylistiques (polyphonie mélancolique au coeur d'un groupe d'amis) que topographiques (une bulle banlieusarde cossue dont les pôles sociaux se situent entre parc, piscine et médiathèque), déjà arpentées par Primrose Hill, son art de la mélodie touche à quelque chose d’encore plus secret et universel qui serait peut-être la douceur d’un dernier (mais vraiment le dernier, cette fois) au revoir à une post-adolescence qui n’en finit pas de finir.

Et pour rester dans le cinéma français, signalons aussi La lisière de Géraldine Bajard, qui avec Mikhaël Hers, partage le souci d’inscrire sa fiction dans le périmètre ultra circonscrit d’une banlieue pavillonnaire. Un récit qui fait de la suspicion son moteur narratif, un fantastique qui naît de l’abstraction, le film ne manque pas d’arguments, mais garde aussi en lui une concentration (à tous les sens du terme) de tous les instants qui l’empêche de transcender les objectifs de son programme scénaristique et formel. Mais en décrivant une communauté villageoise où le soupçon devient maléfice, cette petite fable contemporaine teintée de cruauté jette un pont entre certaines nouvelles de Maupassant et Le village des damnés et c’est déjà une belle gageure.

Pour persister dans les noms connus, les derniers opus de Jean-Marie Straub et de Luc Moullet, certes courts, étaient tout de même un peu plus que des post-scriptum. Du programme de cinq films de et autour des Straub, j’en retiens surtout deux hantés par la métrique brute. Tout en coupes franches et montage heurté, le pur rythme hypnotique de la parole advient de lui-même derrière le fracas verbal des vers de Corneille-Brecht. Plus intéressante encore, la juxtaposition musiques / lumières / paroles d’ O somma Luce joue de francs contrastes lumières/ténèbres mais qui ne s'opèrent pas toujours là où on les attend. Les guides tant sensoriels que spirituels trouvés dans les musiques de Varèse (Déserts) et les mots de Dante (Enfer et Paradis) résonnent comme des balises flottant à la surface d’un tourbillon intime et créatif. Assez poignant.

Comme le sont sur un autre registre, les deux courts-métrages de Luc Moullet qui sous leurs dehors anecdotiques, leurs durées ramassées (13 minutes chacun) et leur factures un peu frustes en disaient long sur le cinéaste. Le premier, Chef d’œuvre ?, commande du Centre Pompidou Metz, est un brillant inventaire, à la limite de la pataphysique, des plus belles traces du génie de la création humaine de toutes époques et de toutes tailles. Devant l’impossibilité d’établir une nomenclature satisfaisante, le monument comme la miniature, l’œuvre de maturité comme les balbutiements d’un art sont renvoyés dos à dos, non pas sur le mode du « tout se vaut », plutôt sur celui d’un joyeux et érudit plaidoyer pro domo d’un cinéaste sans cesse revenu au format court et qui sait que grandes formes et petits sujets peuvent avoir à se parler. A retenir, une énorme blague spéciale Cahiers du Cinéma à la quatrième minute du film.

Cet éloge du petit sujet trouve une résonance plus forte dans Toujours moins, petite encyclopédie visuelle de l’automatisation contemporaine. Est-ce un hasard mais le film débute en 1968 (mise au chômage des composteurs dans le métro et remplacement par les tourniquets) et se poursuit en 1981… Au fil de cet égrenage de dates (tiens, tiens, grosso mode, les mêmes que celles de l’histoire de la gauche), se dessine la topographie d’un monde de services autant anxiogène que comique, phobique du face-à-face (où qu’il aille, l’homme n’a plus qu’à faire à toutes sortes de digicodes) et partant, ayant trop vite soldé le sentiment collectif. Bon, tout ce que je raconte là est peut-être du flagrant délit d’extrapolation, mais voilà sans doute un cinglant film politique (pardon pour le gros mot) qui n’a de petit que le format.

Au chapitre des involontaires souvenirs (plus ou moins) comiques du festival restera aussi la lecture au petit-déjeuner de cet article en rajoutant encore à la légende (tordue ? clownesque ? les deux à la fois ?) de JLG. C’était à l’occasion de l’hommage rendu à Menahem Golan, mogul de la Cannon, firme so 80’s au logo so Op Art :

Lequel Menahem Golan se vit donc gratifié du prix Raimondo Rezzonico, rendant hommage à un producteur ayant œuvré dans et pour le cinéma indépendant. Une reconnaissance affirmant haut et fort qu’une main tendue à Cassavetes (Love Streams 1984), à Altman (Fool for love 1985) et donc à Godard (King Lear indatable, insituable, imbitable ?) peut faire oublier les pelletées de métrages de séries dont les maîtres d’œuvre se nomment Chuck Norris, Jean-Claude Van Damme ou Michaël Dudikoff. Par chance, dans un catalogue où la quantité supplée la qualité (plus de 200 films produits en moins de dix ans), on arrive à trouver LE seul film qui soit à la fois « d’auteur » et « de série B au sens noble du terme ». Il s’agit de Runaway Train (Andrei Konchalovsky 1985) dont la découverte sur écran géant amenait un sacré souffle au milieu de nombreux titres autrement plus compassés. Si le film est aussi excitant, c’est parce qu’il en contient plusieurs. Placé sous les auspices déjà prometteurs d’un ancien script de Kurosawa adapté au territoire américain, le film porte à la carburation maximale des quasi-archétypes de film d’action (d’abord une vigoureuse chronique de prison sous l’emprise stylistique des écrits d’Edward Bunker, co-scénariste ; ensuite un récit d’évasion à bord d’un train fou) pour se muer en méditation romantique sur l’homme et une technique tellement folle qu’elle en devient un second état de nature. Ou quand la puissance et la vitesse du cinéma d’action dialoguent avec la démesure mélancolique des toiles "de naufrage" de Caspar David Friedrich. Soit un film d'avant l'ère des catastrophes en numérique et pouvant utilement se prévaloir d'être le chaînon manquant entre Werner Herzog et Titanic.

En haut : Runaway Train (Andrei Konchalovsky 1985)

En bas : Mer de glaces (Caspar David Friedrich 1823)

Pour ceux que ça intéresse, la suite de ce compte-rendu (évoquant notamment les films primés) dans le numéro d'octobre des Cahiers du Cinéma...

lundi 9 août 2010

Phénix de l'architecture

"L'architecture moderne est morte a Saint-Louis, missouri, le 15 juillet 1972 a 15 h 32, ou a peu prés..."Avec la précise froideur du médecin légiste, Charles Jencks date (dans son ouvrage de 1977) de l’heure de la première démolition « à la dynamite » d’un quartier HLM (celui de Pruitt-Igoe) la fin des utopies et spéculations du Mouvement Moderne en architecture. Après ces barres agonisantes, plus rien ne serait jamais comme avant. Mise en face de ses responsabilités urbaines et sociales, la profession ne pouvait plus faire l’innocente. L’ir onie de l’histoire retiendra que l’architecte de ces bâtiments honnis s’appelait Minoru Yamasaki qui venait alors de livrer un bâtiment autrement plus glorieux, le fameux…. World Trade Center. Voilà donc, dans l’histoire de l’architecture le seul architecte dont les édifices sont plus connus pour leur destruction que pour leur édification.

On peut tout de même se demander si en matière de mort symbolique de l’architecture moderne, le coup de grâce n’avait pas été porté deux ans auparavant avec le fameux épilogue de Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni 1970). Rappelons que cette suite d’explosions filmées au ralenti, cette jouissive télépathie de destruction, ce pink-floydesque « détruire dit-elle » prend pour première cible une canonique « villa d’architecte ».

En réponse à cet extrait si fameux, j’ai découvert le travail d’une jeune agence Freaks architectes, qui intègre aussi (et avec pas mal d’humour) la vidéo dans son activité de recherche et de conception. Leur petit opus Faster than China se révèle d’une efficacité redoutable pour proposer une politique de reconstruction rapide et de résurrection de l’architecture bétonnée. Il me semble avoir déjà vu ce principe de « lecture inversée » dans une vidéo de Bill Viola (où des plongeurs paraissent décoller comme des fusées), mais au-delà de la potacherie du procédé (remettre d’aplomb les bâtiments qui s’effondrent), je vois poindre derrière cette vidéo une critique de ces dynamitages systématiques, qui s’ils offrent des moments cinégéniques, perpétuent l’idéologie de la tabula rasa et empêchent, en imposant un nouveau départ à zéro, toute sédimentation (historique comme mémorielle) de faire son œuvre.

Quoi qu’il en soit, je ne peux que vous conseiller de cliquer ici pour voir la juxtaposition Antonioni / Freaks Architectes.

Et dans ce perpétuel fracas destruction/reconstruction, je sens finalement que l’architecture moderne, dans ses réalisations les plus nobles (les villas) comme dans les moins désirées (les barres HLM) évolue suivant les oscillations du phénix: condamnée à renaître des cendres de ses échecs.