mercredi 29 avril 2009

Confusion, l'utopie Tati (films fantômes 1)

Etant entendu que les meilleurs films n'existent que dans la tête du spectateur, début d'une (mini) série sur quelques films fantômes, invisibles, inachevés mais porteurs évidemment des promesses les plus fantasmatiques.

Je commence donc cette évocation avec Confusion, le dernier projet de Jacques Tati, auquel il s'attela à partir de 1970 et dont il garda, jusqu'à sa mort en 1982, toujours le secret espoir de le mener à bien.

Pour présenter en vitesse le projet, usons de la formule lapidaire qui dit tout et rien à la fois :  « Confusion, c’est Mabuse croqué par Sempé ». Soient les bugs de la COMM (Compagnie d’ordinateurs et de matériels multi-vidéos mais surtout unique pourvoyeur d’images de Paris : à la fois une chaîne de télé, le centre du réseau de vidéosurveillance que le diffuseur des vignettes filmées du syndicat d’initiative) et leurs conséquences : le dérèglement de la mécanique de la Cité.

Aujourd’hui, que vous ruminiez dans une file d’attente à la Poste ou que vous ayez huit heures de long courrier à occuper, que vous le vouliez ou non, on vous colle des images animées sous les yeux, un accompagnement audiovisuel comme palliatif à la perte de temps. C’est, entre autres, ce que prophétisait Confusion : le flot d’images et de sons pour assaisonner les temps morts, l’image, n’importe quelle image comme mastication visuelle, boule anti-stress oculaire. Rien de dire que cet ultime opus tatiesque gagnait sur ces chapitres (concordance des flux des images, accompagnement audiovisuel permanent, champ oculaire ayant horreur du vide) sa dimension prophétique. Dimension prophétique renforcée, sur le plan formel, par le mixte cinéma-vidéo (comme tiens, tiens, le Godard 70’s) et sa volonté d’aller chercher aussi bien l’esthétique (comme tiens, tiens, Nam June Paik) que son propos comique dans les dérèglements de l’outil vidéo: distorsions et quiproquos visuels basés sur les couleurs (comme une hilarante partie de foot où les 22 joueurs se retrouvent tous munis d’un maillot identique bicolore et biface). Si Tati est si économe en dialogues et fuit le mot d’auteur, c’est sans doute parce que chez lui (et plus particulièrement dans ce dernier projet), les jeux d’images fonctionnement encore mieux que les jeux de mots.

Déjà, Playtime stigmatisait un devenir télévisuel de la cité...

... quand Nam June Paik prévoyait l'avènement d'un homo televisanus.

Et de fait, Confusion exploite tous les sens et sous-entendus de son titre : mise en abyme (entre autres dérèglements, celui du tournage d’un film d’époque combinant méprises spatiale et temporelle), duplication, substitution entre l’original et la copie (autre hilarante visite de la capitale en car où à l’approche de chaque monument, le véhicule plonge dans un tunnel, contraignant les touristes à ne voir des fleurons architecturaux que des images vidéo sur le moniteur du bus) ... Et au-delà, un dynamitage en douce de la pyramide sociale (d’autant plus subversif qu’involontaire), une remise à plat nécessaire (pas si éloigné du « pas de côté » prôné par l’An 01 de Gébé), des élans libertaires qui toujours préfèreront la fusion douce (des corps et des désirs) à la fusion conne (des conglomérats et des entreprises). Derrière l’ivresse du dérèglement pointe l’ailleurs de l’utopie.

Sur cette dernière dimension, j’invite à lire ces deux excellents articles fort détaillés et truffés d’extraits du scénario qui vous permettront de juger sur pièce : et .

Il se comprend aisément que ce dernier projet est une somme (qui se paie le luxe d’évacuer Hulot) en même temps qu’une chimère. Au fond de lui, échaudé par l’échec de Playtime, Tati pensait-il vraiment pouvoir mener à bien ce projet qui nécessite encore plus de moyens, plus de décors (puisque par la magie des ondes, nous sommes dans une ville où « tout communique » et l’on passe d’une usine, à un stade de foot, à une église moderne, à un immeuble de bureaux, etc…) et plus de post-production (nombreux trucages vidéo qui,  pour l’époque, devaient coûter leur prix). Je ne sais pas si je suis le seul à penser ça, mais il y a aussi dans la ville et les lieux de Confusion, quelque chose qui rappelle l’environnement de Monstres et compagnie (2001) aussi bien dans l’asepsie généralisée que dans la démesure des usines, et nul doute qu’en termes de production et de direction artistique, un tel scénario se rapproche, là encore prophétie, de l’univers pixarien.  

Somme en même temps que chimère, le projet même du film paraît hanté par la douce impossibilité de le concrétiser. Mais être à soi-même sa propre utopie, n’est-ce pas le plus beau projet de film ? Et n’y a-t-il pas, dans l’attachement irréductible de Tati à ce scénario, quelque chose de Scéhérazade, le besoin de cultiver une histoire dont le simple récit maintient encore en vie ?

Une petite séance de casting pour le film ? (voir ici)

Face à un tel défi posé aux conditions même de la fabrication d’un film, quelle part de vie reste-t-il aujourd’hui d’un tel projet, plus de 25 ans après la disparition de son démiurge ? C’est sans doute le défi que s’est lancé Bruno Podalydés en proposant la lecture de Confusion, il y a une dizaine de jours à la Cinémathèque. Lire un scénario, c’est déjà concrétiser un fragment du projet du cinéaste. Si les lectures de scénarios deviennent de bons moyens de faire émerger des projets de débutants (notamment au festival d’Angers), le défi n’est-il pas autre chez Tati ? Comment restituer des tableaux plans larges foisonnants composés de multiples couches visuelles que l’on imagine composé avec un soin extrême ? Comment restituer un gag discret à l’arrière du plan qui fait mouche en moins d’une seconde et qui aurait besoin d’une demi page pour être décrit dans sa précision ? Un début de solution tient dans l’adjectif accolée à « lecture » : « bruitée ». Car chez Tati, heureusement que les sons sont là comme premiers repères, contrebalançant souvent, par leur précision cristalline, l’immensité de l’image. La partition sonore de Confusion apparaît comme référent à partir duquel se met en place l’espace du film. Si le film a (partiellement) existé dans la tête des spectateurs de cette lecture, c’est principalement grâce à cette trame sonore, suffisamment forte pour pallier le manque d’images. Bande sonore, qui même restituée de manière artisanale (entièrement doublée à la bouche, ce qui exige une certaine virtuosité de variations pour tous les bruits mécaniques), révèle sa densité propre à infuser les micro happenings agrémentés par Podalydés durant la lecture. Quelque part, tout cela m’a rappelé, sur un registre moins savant, les travaux musicaux de Georges Aperghis à la conjonction de la variation vocale et de la musique contemporaine électronique la plus sophistiquée.

L'essentiel n'est-il pas d'éprouver une nouvelle fois ces deux délicieux axiomes : « si tu n’entends pas, c’est que tu ne vois pas » et surtout « jouir, c’est ouïr »…

mardi 21 avril 2009

Complexes immobiliers

Y aurait-il un quelconque intérêt à découvrir aujourd'hui I comme Icare (Henri Verneuil 1979), comme ce fut mon cas la semaine dernière ? Curiosité vicieuse (d'autant plus que c'était la matinée du lundi de Pâques, que le ciel était bleu, que la famille était souriante) qui s'amuse à pointer les nombreuses incohérences scénaristiques dont est truffé le récit, paradoxe d'autant plus risible avec le recul que ce mix de Costa-Gavras et des Hommes du Président (Alan J Pakula 1976) vise à chaque seconde à nous démontrer à quel point on est chez des "super-pros". Film assez exemplaire du complexe du cinéma français vis-à-vis du cinéma américain. Certes, on est dans la conspiration comme chez Pakula, Pollack, Coppola, De Palma. Certes, il y a beaucoup d'hommes dans la force de l'âge comme chez Preminger. Certes, il n'y a, pour ainsi dire que des professionnels au travail comme chez Hawks, mais sans la piquante ironie sur les rapports hommes-femmes... mais si tout cela suffisait à égaler ces glorieux modèles. D'autant plus quene sont retenus que les signes les plus apparents et qu'est vite laissée de côté la singularité de ce cinéma admiré. De Hawks par exemple, on ne paraît retenir que le "groupe de professionnels au travail" (et d'un sérieux pontifical) en oubliant sa piquante ironie sur les rapports hommes - femmes, la dialectique entre action et parole... Rien de tel ici dans une forme aussi servile qu'un retour dans le giron de l'OTAN. A moins que la froideur de l'ensemble anticipe des essais plus cérébraux tels cette vague de remakes hollywoodiens qui ont fleuri dans l'art contemporain ?

(Petit) intérêt tout de même, le regard porté sur l'architecture et l'urbanisme de son temps, cette façon d'arracher un bout d'Amérique aux dalles des villes nouvelles. Mais là aussi, la comparaison architecturale pourrait donner au film des verges pour se faire battre. Entre Verneuil et ses maîtres substiste le même écart qu'entre Beaugrenelle et Manhattan.
C'est aussi oublier que ce sentiment ambigu de complexe ou d'admiration (c'est selon) Europe / Etats-Unis n'est pas allé que dans un sens. Quand Coppola signe Conversation secrète (1974), il lorgne autant si ce n'est plus sur Antonioni que vers Arthur Penn. Et ce qui paraît faire "furieusement américain" a aussi trouvé certaines de ses racines de par chez nous. 
Pour en rester simplement aux décors du film, la Préfecture du Val d'Oise à Cergy (transformée en Civic Center. Sa forme ne rappelle-t-elle pas ces City Halls des années 60 ?


En haut : Préfecture du Val d'Oise, Cergy-Pontoise (Henry Bernard architecte 1969)
En bas: Hôtel de Ville de Boston, (Kallman, Mc Kinnell, Knowles architectes 1963-1968)

Je suis loin d'affirmer qu'il y a une inspiration directe entre les deux, simplement une réminiscence de forme typologique (la pyramide inversée posée sur une vaste plaza).

Le même hôtel de ville de Boston, qui vu sous un autre angle, rappelle furieusement un autre bâtiment.

En haut : Hôtel de ville de Boston, donc
En bas: Couvent Sainte-Marie de la Tourette (Le Corbusier architecte 1956-1960)

jeudi 16 avril 2009

Golden eighties

En commentaire de cette note, je me demandais perfidement, si face à la profusion des titres enthousiasmants produits par le cinéma français durant les années 70 (que l’on peut, qui plus est, élargir durant cette période à de glorieux expatriés comme Bunuel ou Marco Ferreri), j’arriverais à trouver, ne serait-ce que 10 titres pour la décennie suivante.

Il est vrai que quand je pense à ces « si loin si proches » années 80, je pense d’abord à :

- Aux tenants d’un romanesque quelque peu assagi et sur-psychologisé (Téchiné, Doillon, Claude Miller, Deville, Assayas) qui, malgré leurs qualités, ont du mal à faire le poids face à la puissance d’Eustache, par exemple et, c’est un comble, paraissent aujourd’hui avoir davantage vieilli que certains emblèmes de la décennie précédente.

- A l’émergence de l’esthétique honnie bessoneixienne. Pourtant, je peux reconnaître de belles choses dans Le dernier combat, Diva ou 37,2 mais de là à leur faire l’honneur d’un top ! Face à cela, je sauve aussi en partie (même si mes souvenirs sont très vagues) la singularité des grognements dans la brume de La guerre du feu (cet esthétisme brouillardeux, c’est Antonioni qui se met à la pub ?).

- Parallèlement, aux espoirs déçus de débutants qui avaient fait grand bruit en leur temps (Rochant, Virginie Thévenet, Christian Vincent) mais qui se sont révélés  pétris d’une approche bien conventionnelle du cinéma. Certes, Claire Denis pointe le bout de son nez en 1988 avec Chocolat mais le souvenir d’un premier opus plutôt timide.

- A une certaine atonie des expériences singulières, des « films INA » (entre autres), des « films qu’on ne pourrait plus produire aujourd’hui »,  en somme un contexte ou un état d’esprit qui permettait à Duras, Pérec ou Debord de se saisir d’une caméra, ou à Moullet ou à Pollet de s’aventurer vers des formes hybrides (essais, films à la première personne).

- A mon regret (ou manque de curiosité) de ne pas trop m'être orienté vers certains « francs-tireurs » (Vecchiali, Biette, Treilhou, Zucca, Guiguet, Frot-Coutaz, Davila) dont je ne connais que très peu l’œuvre (pas eu l’impression d’avoir vu leurs bons titres, d’ailleurs).

Et donc, ce n’est que dans un second temps que je me souviens que les années 80 m’avaient tout de même offert de belles comètes.

D’abord six claques dans la gueule, plus que ça, de vrais jalons dans ma cinéphilie :

Thérèse (Alain Cavalier 1986)

Maine Océan (Jacques Rozier 1986)

Mauvais sang (Leos Carax 1986)

A nos amours (Maurice Pialat 1983)

De bruit et de fureur (Jean-Claude Brisseau 1988)

Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais 1980)

Ensuite, deux sortes de classiques :

L’argent (Robert Bresson 1983)

Les nuits de la pleine lune (Eric Rohmer 1984)

Puis, trois films imparfaits, parfois trop longs, complaisants, mais dont les sommets de poésie rachètent largement leurs faiblesses :

Elle a passé tant d’heures sous les sunlights (Philippe Garrel 1985)

Le pont du Nord (Jacques Rivette 1981)

Sans soleil (Chris Marker 1983)

Et un film vraiment à part :

L’ange (Patrick Bokanowski 1982)

Bon, là, on est déjà à 12 titres. Mais je mentionne encore :

Les frères ennemis :

La femme d’à côté (François Truffaut 1981). Je sais bien que c’est limite blasphème de ne pas le mettre plus haut, mais mon souvenir reste tout de même vague (vu à la télé, il y a plusieurs années).

Je vous salue Marie (Jean-Luc Godard 1985). Assez ébloui durant sa première demi-heure (variations sur la création artistique, scientifique, biologique), mais si j’ose dire, j’ai l’impression que Godard pose ici (tout comme dans Puissance de la parole, court de 1988 dont il est assez proche) des jalons stylistiques qui me paraîtront nettement plus aboutis dans plusieurs titres de la décennie suivante (Nouvelle vague, JLG JLG).

Et pour finir, sur le banc, des titres marquants mais dont j’ai aujourd’hui des souvenirs trop vagues pour être totalement sûr de les retenir :

Hôtel des Amériques (André Téchiné 1981)

Tenue de soirée / Trop belle pour toi (Bertrand Blier 1986 et 1989)

Double messieurs (Jean-François Stévenin 1986)

Coup de torchon (Bertrand Tavernier 1981)

Voilà, je suis arrivé à 19 titres finalement… Encore un pour arriver à 20. Allez, hop, une dérogation pour à la règle du « un seul titre par réalisateur » et je rajoute :

Un étrange voyage (Alain Cavalier 1981) pour lequel j’ai une affection particulière…

Et puis, enfin, me revient en post-scriptum, le récurrent film "je me demande encore comment j'ai pu l'oublier". Pour ma part, il s'agit de Empty quarter, une femme en Afrique (Raymond Depardon 1985), douce claque dans la gueule et surtout délicate et hybride expérience singulière (fiction ? documentaire ? journal filmé ?) qui me touche d'autant plus que j'y perçois de subliminales réminiscences personnelles.

Bon, elles étaient pas si mal ces années 80, finalement, ces années qu'on adore honnir, même si on y a -presque- tout appris. (photogramme : La personne aux deux personnes 2008).

dimanche 12 avril 2009

OSS 117 peut aller se rhabiller



Bande annonce de L'opération de la dernière chance (Antonin Peretjatko 2006)

Ou l'art de transformer ses films de vacances en superprod...

Tout ce fric, c'est indécent...

Jour de fête...

Lendemain de fête !

Variantes (pour ce marronier du mois d'avril) :
"Semez, semez / Mais passez un coup de balai en sortant."
"Même quand ça tombe du ciel / Mais c'est toujours les mêmes qui ramassent à la fin."
"Même jetée par les fenêtres / Elle n'a toujours pas d'odeur."

Si vous en avez d'autres, ne vous gênez pas...

vendredi 3 avril 2009

Rien à voir ?


" Le paysage étant généralement ingrat. On va jusqu'à supprimer les fenêtres....
... puisqu'il n'y a rien à voir". 

Texte et images noir et blanc : L'amour existe (Maurice Pialat 1961), à lire et à voir.
Image couleur : The rabbit hunters (Pedro Costa 2007), à voir ici, ici et ici

***
Même quand la ville se fait cruelle, même quand l'architecture bouche l'horizon... heureusement qu'il reste des cinéastes pour savoir regarder les lieux de relégation... Ces deux courts-métrages de Pialat et de Costa, comme deux élégies péri-urbaines, deux douloureuses remises en question de diverses mémoires: l'urbaine, l'historique, la politique... 

Happy birthday

Ce blog a aujourd'hui deux ans. Comme pour tous les animaux domestiques, il est peut-être d'usage de multiplier ce chiffre par deux, quatre ou sept pour connaître son vrai âge biologique. 
En attendant, un film dont je viens de dire du mal tenait à venir me faire la fête.